L’accès aux services d’avortement au Canada
par Patricia LaRue
Nous vivons dans un des seuls pays où il n’existe pas de loi sur l’avortement. Nous pourrions donc espérer que les femmes désirant interrompre une grossesse sont en mesure de le faire sans embûche. Cependant, les Québécoises et les Canadiennes à la recherche d’un avortement rencontrent encore plusieurs obstacles limitant leurs choix.
En 2007, l’Association canadienne pour la liberté de choix publiait Retour à la réalité : un aperçu de l’accès aux services d’avortement dans les hôpitaux canadiens, un rapport décrivant l’expérience réelle des femmes qui choisissent de se faire avorter. Pour cette étude, une chercheure a appelé les 791 centres hospitaliers du pays pour s’informer sur la disponibilité des services d’avortement, en disant être une jeune femme enceinte désirant interrompre sa grossesse.
Retour à la réalité démontre que le nombre d’hôpitaux offrant des services d’avortement au Canada a diminué de près de 2 % en trois ans. Bien que le nombre d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) réalisées en cliniques privées augmente, le pourcentage de centres hospitaliers offrant des IVG a atteint son plus faible taux en 10 ans : 15,9 %. De plus, les hôpitaux offrant des services d’IVG au Canada ne sont pas bien répartis sur l’ensemble du territoire. Lorsque l’on porte une attention particulière aux régions rurales, il n’y a à peu près pas de services. Dans les faits, la majorité des cliniques et des centres hospitaliers offrant de services d’avortement sont situés dans les régions urbaines, à moins de 150 kilomètres de la frontière américaine.
L’endroit où l’on habite influence énormément l’accès aux services d’avortement. Par exemple, l’Île-du-Prince-Édouard n’offre aucun service. Le Nouveau-Brunswick est l’une des provinces canadiennes où l’accès est le plus difficile. La province refuse toujours de payer pour les avortements pratiqués à l’extérieur des centres hospitaliers. Pire encore on y exige que deux médecins jugent l’interruption comme étant médicalement nécessaire pour qu’elle soit autorisée, ce qui contrevient de manière flagrante à la Loi canadienne sur la santé.
Au Manitoba, il n’y a que deux hôpitaux offrant des services d’avortement. Une femme qui demeure dans le nord du Manitoba doit voyager pendant 20 heures pour se rendre à l’établissement offrant des services le plus proche. Le temps et les coûts imputés au déplacement sont des obstacles de taille qui restreignent l’accès aux services dont les femmes ont besoin.
De plus, la façon dont sont traitées les femmes choisissant d’interrompre leur grossesse lorsqu’elles appellent les centres hospitaliers pour demander de l’information est parfois choquante. Plusieurs fois au cours de la recherche, et dans chaque province, des membres du personnel des centres hospitaliers ont raccroché au nez de la chercheure, ont ri d’elle, ou lui ont donné de l’information erronée sur ce qui pourrait arriver si elle se faisait avorter. Plusieurs hôpitaux lui ont dit : « On ne parle pas de “ça” ici » ou « Regarde dans le bottin sous la lettre “A” », avant de raccrocher. Dans 41 % des hôpitaux qui pratiquent des avortements, les membres du personnel hospitalier à qui la chercheure a parlé ne savaient pas que leur établissement pratiquait l’intervention et ne savaient pas où la référer pour trouver des réponses à ses questions.
Un hôpital de la Colombie-Britannique lui a donné le numéro de téléphone d’un centre d’aide aux femmes enceintes qui a affirmé que si elle se faisait avorter et qu’elle voulait un enfant plus tard, le col de son utérus serait si faible qu’elle devrait passer sa grossesse les jambes au-dessus de la tête pour empêcher le bébé de tomber. Un autre centre hospitalier lui a dit que le seul fait de penser à interrompre une grossesse faisait d’elle une personne instable et lui a conseillé de se rendre à l’hôpital psychiatrique.
Les systèmes de boîtes vocales sont aussi un autre obstacle au Québec et en Ontario. Plusieurs hôpitaux obligent les femmes voulant de l’information sur l’avortement à laisser leurs coordonnées pour que quelqu’un puisse les rappeler. Il n’y a pas moyen de parler à quelqu’un directement.
Les médecins anti-choix sont parmi les principaux obstacles auxquels sont confrontées les femmes qui essaient d’obtenir des services d’avortement. Plusieurs d’entres eux donnent de la fausse information sur l’intervention ou sur la procédure à suivre afin de convaincre les femmes de poursuivre leur grossesse. La clause de conscience leur permet de refuser d’offrir des services à cause de leurs croyances personnelles. Le fait que plus de 70 % des hôpitaux pratiquant l’IVG demandent qu’une femme soit référée par son médecin de famille pour prendre rendez-vous démontre à quel point il est important que les femmes soient supportées par leur médecin.
Il reste donc beaucoup à faire pour que toutes les femmes puissent exercer leur choix en matière de reproduction. Après tout, un choix qui ne peut être exercé de façon sécuritaire, accessible et abordable n’est pas un vrai choix.