Attaques contre le droit à l’avortement

No 048 - février / mars 2013

Attaques contre le droit à l’avortement

Équipe de travail de la Fédération du Québec pour le planning des naissances

Le 28 janvier 2013 a marqué les 25 ans du jugement Morgentaler, qui a permis la décriminalisation de l’avortement au Canada. Il importe de le célébrer, tout en restant sur nos gardes. En effet, au cours des 25 dernières années, plus de 45 motions et projets de loi ont été déposés au fédéral afin de tenter de limiter ou d’interdire l’avortement… Et ça continue encore aujourd’hui.

Le Canada a ceci de particulier : c’est un des rares pays où l’avortement est décriminalisé sans aucune restriction légale. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) est une procédure médicale simple et sans danger réalisée sur demande et prise en charge par les systèmes de santé provinciaux – à condition bien sûr de pouvoir en bénéficier. Les taux d’avortements sont ici parmi les plus bas au monde et plus de 90 % des IVG ont cours durant les trois premiers mois de grossesse, en toute sécurité.

Sur le terrain, la réalité est plus complexe et l’accès à l’avortement peut être rendu difficile par l’absence de services (c’est notamment le cas à l’Île-du-Prince-Édouard) ou l’éloignement géographique de ceux-ci, pénalisant celles qui vivent en région éloignée ou dans le Nord. Ou simplement par le fait que le service n’est pas adapté à toutes : tables d’examen gynécologique inaccessibles pour les femmes en fauteuil roulant, barrières culturelles et linguistiques, etc.

En plus des contraintes physiques et structurelles, il existe toujours beaucoup de tabous autour de cette intervention et il n’est pas rare que les femmes souhaitant avoir recours à l’avortement se heurtent à la désinformation et au jugement. Il reste encore du travail à faire, 25 ans plus tard, pour améliorer l’accès et la qualité du service, surtout lorsqu’on sait qu’une femme sur trois a recours à l’avortement au cours de sa vie.

Un mouvement anti-choix influent

Le mouvement anti-choix (qui aime à se nommer « pro-vie ») est particulièrement influent au Canada, bien financé (notamment par les Chevaliers de Colomb et les congrégations évangélistes des États-Unis) et proactif. Il compte nombre de représentantEs à la Chambre des communes et même au sein du gouvernement et réussit à mobiliser des dizaines de milliers de personnes chaque année à Ottawa lors de la « marche pour la vie ». Et on ne compte plus les initiatives locales ou individuelles telles que l’érection de mémoriaux pour les « enfants non nés », les drapeaux avec des slogans anti-choix affichés par des mairies (à Kelowna et à Kamloops, par exemple) ou la remise de médailles à des militantes anti-avortement condamnées à de multiples reprises pour harcèlement et non-respect des conditions de leur remise en liberté.

Le Québec n’est pas non plus épargné et on estime qu’il y a dans la province plusieurs dizaines de centres, prétendument « d’aide à la grossesse », qui donnent des informations erronées aux femmes et cherchent à les dissuader d’avorter [1]. Nous avons aussi, comme ailleurs au Canada, la vigile des « 40 jours pour la vie »…

Stratégies parlementaires

Parce que la grande majorité de la population est en faveur du droit à l’avortement, les anti-choix utilisent des moyens détournés pour tenter d’ouvrir des brèches dans la législation. Par exemple, en essayant de faire reconnaître un statut légal ou juridique au fœtus ou en augmentant les peines encourues en cas d’acte criminel sur une femme enceinte (« double meurtre »). Ceux qui déposent les projets de loi s’emparent d’enjeux à valeur hautement émotive afin de susciter l’adhésion du public à leur cause. Un exemple très actuel de cette stratégie est la motion M-408, déposée en septembre 2012 par le député conservateur Mark Warawa. Celle-ci demande que « la Chambre condamne la discrimination exercée contre les femmes au moyen d’avortements sexo-sélectifs  ».

En une phrase, le député souligne un phénomène dont l’existence n’est pas prouvée au Canada (le « féminicide » des fœtus), y trouve une solution et se pare en même temps de l’auréole du sauveur vertueux. En fait, sous le prétexte de la défense des droits des femmes, il ouvre à nouveau la porte à un débat sur l’avortement, tout en instrumentalisant des stéréotypes racistes et xénophobes. Cette stratégie de récupération d’éléments de discours progressiste est aussi à l’œuvre aux États-Unis où les anti-choix se mobilisent pour empêcher le « génocide » commis envers les communautés afro-américaines par le biais de l’avortement.

Le choix et la justice sociale

Les arguments changent, les attaques se font moins frontales, mais l’objectif des anti-choix reste le même : limiter ou interdire l’avortement. Cela frise cependant l’odieux lorsque ces positions paternalistes et conservatrices se drapent dans l’argument de la défense des droits. Comment peut-on prétendre défendre quiconque en l’accusant, en jugeant ses choix et en tentant de limiter ses options ?

Le choix dans le domaine de la santé reproductive dépasse la question de l’avortement. C’est choisir d’avoir des enfants, ou pas. Choisir quand on les a et choisir les conditions dans lesquelles on va les élever si on décide d’en avoir. C’est lié à un contexte personnel, mais aussi et surtout à une situation sociale et économique. Et donc à la justice sociale. Or, lorsqu’il s’agit de défendre les droits des femmes marginalisées, de soutenir des programmes contre la violence ou la discrimination, d’assurer une éducation sexuelle digne de ce nom dans les écoles ou de créer des places en garderie, ils ne sont pas nombreux à se manifester, les anti-choix… Comment peut-on vouloir à ce point « sauver la vie » tout en se préoccupant si peu des conditions d’existence de ses contemporainEs ? Car « la vie » ne se limite pas aux moments charnières que sont la conception, la grossesse et la mort. Il y a tout le reste. Et il serait peut-être temps de s’en occuper au lieu de tenter, par mille moyens détournés, de nous faire revenir 25 ans en arrière, qui plus est au nom de la défense des droits des femmes comme le prétend M. Warawa !


[1Gabrielle Duchaine, « Avortement : la grande manipulation », RueFrontenac.com, 28 oc-tobre 2010, http://exruefrontenac.com/varia/29462-avortement-la-grande-manipulation.

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