Éditorial du no. 48
Plume rouge !
Après Occupy Wall street, les indignéEs en Europe, les Printemps arabe et érable, c’est au tour des Autochtones de prendre la rue pour faire entendre leurs revendications. Idle no more a mis le feu à la prairie. Partout au pays, des actions sont menées en dehors des cadres traditionnels de revendications.
Retour en arrière. Au mois d’octobre 2012, en Saskatchewan, quatre femmes s’insurgent contre le projet de loi C-45 du gouvernement fédéral et initient le mouvement Idle No More. Rappelons, pour mémoire, que cette pièce législative de plus de 400 pages apporte des changements unilatéraux entre autres à la Loi sur les indiens, la Loi sur la protection de la navigation et la Loi sur l’évaluation environnementale. Le tout, sans aucune consultation. Un mot pour qualifier la démarche de Stephen Harper : autoritarisme.
Le mouvement Idle no more s’enracine après que l’on ait constaté que d’importants changements législatifs font fi des traités et droits autochtones. La « loi mammouth 2 » a pour effet d’accorder au ministre des Affaires autochtones des prérogatives accrues. La protection de la navigation, des lacs et des rivières est rudement affaiblie. Le processus d’approbation environnementale est dorénavant plus expéditif. Les terres des réserves autochtones sont désormais ouvertes aux spéculateurs qui convoitent avec avidité les ressources du Nord.
Insistons, Idle no more a vu le jour en dehors des structures bureaucratiques existantes. Il a pris forme à la base et depuis il a essaimé. C’est un mouvement citoyen et il n’est pas anodin qu’il ait été porté principalement par des femmes. Ce sont elles qui sont les principales victimes, avec leurs enfants, des maux sociaux issus du colonialisme canadien et elles entendent agir hors des structures politiques autochtones traditionnelles. Le mouvement s’est développé dans les diverses communautés autochtones et il gagne un appui croissant chez les non-autochtones. De plus, la grève de la faim entreprise par Theresa Spence, le 11 décembre dernier, a eu pour effet de donner un élan important au mouvement autant au Canada qu’à l’extérieur du pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, et même en France).
Les militantEs d’Idle no more s’opposent à plusieurs politiques fédérales conservatrices. Leur but est d’attirer l’attention sur le sort peu enviable réservé aux Autochtones au Canada (pauvreté, taux élevé de suicides, piètre condition des femmes autochtones, pénurie d’eau potable, pillage des terres autochtones par certaines grandes compagnies, etc.). Last but not least, ces militantEs dénoncent le fait que le gouvernement Harper ne les consulte pas quand il adopte des décisions qui les concernent. Ce mouvement correspond à un renouveau stratégique issu des nouvelles générations qui ont constaté les limites des discussions encadrées par la Loi sur les Indiens.
Au cours des dernières années, la question autochtone a fait l’objet d’une Commission royale d’enquête (la commission Erasmus-Dussault) qui proposait un plan sur vingt ans pour réduire les inégalités qui frappent les autochtones. La conclusion de l’entente de Kelowna entre le gouvernement canadien et les Premières nations (après 18 mois de négociations) prévoyait un plan de 5 milliards $ sur 10 ans pour améliorer les conditions en matière d’éducation, de santé et de logement. Dès son élection, en 2006, Stephen Harper a mis sur la glace l’accord de Kelowna. Après six ans d’inertie dans les échanges entre le gouvernement canadien et l’Assemblée des premières nations, il y a eu la très prometteuse rencontre de janvier 2012. Les intentions affichées ont été vite démenties dans les faits par l’adoption unilatérale des projets de lois C-38 et C-45. Pour avoir menti aux Autochtones quant à ses intentions véritables dans la façon de se conduire avec eux, le Gouvernement Harper est à blâmer sur toute la ligne.
Dans le présent conflit, deux visions s’affrontent. D’un côté, celle d’un gouvernement paternaliste et colonialiste qui prétend travailler au développement de « relations durables, fondées sur le respect mutuel, l’amitié et le soutien » (dixit Stephen Harper) alors que dans les faits ses politiques réelles vont accroître l’inégalité, la précarité et l’aliénation de populations vulnérables qui n’ont pas la pleine maîtrise de leur développement. De l’autre, celle d’un renouveau militant chez les Autochtones se ralliant dans un vaste mouvement social de protestation avec des revendications ciblées qui ont pour objectif la fin de la dépendance, l’élimination des conditions de vie aberrantes et enfin la reconnaissance effective de leurs droits.
La rencontre avec Stephen Harper, le 11 janvier dernier, a provoqué une importante division au sein de l’Assemblée des Premières Nations. Les revendications de la chef crie Theresa Spencer et celles de Idle No More ont pratiquement été ignorées, malgré que sans elles, cette rencontre n’aurait jamais eu lieu. Le Gouvernement et les Chefs devront prendre en compte « la rue » dans les mois qui viennent s’ils veulent vraiment trouver des solutions acceptables par les communautés. La mobilisation ne s’arrêtera pas là.
Il va sans dire que les membres du collectif de la revue À bâbord ! appuient sans réserve la lutte et les revendications des grévistes de la faim et du mouvement Idle no more.