Dossier : Démocratiser l’économie
La vérification citoyenne de la dette
Pour ne pas se laisser berner
Rien ne vaut une bonne dette souveraine pour restreindre la démocratie. Un pays endetté n’est plus maître de ses choix. Il doit appliquer des mesures qui satisfont d’abord et avant tout les créanciers. Il se plie aux critères d’évaluation des agences de notation, fortement imprégnées de l’idéologie néolibérale, afin d’éviter une décote qui entraîne une hausse du taux d’intérêt. Et tous assistent au spectacle d’élus humiliés et soumis, incapables de gouverner pour le bien de la population.
La dette s’impose comme une grosse masse noire, un tout informe. On alarme le public avec des chiffres effrayants, toujours très élevés. La dette brute du Québec, par exemple, serait de plus de 180 milliards de dollars et toujours en croissance. Le bon sens nous dit que toute dette doit être remboursée, que tous les sacrifices doivent être faits pour retrouver l’équilibre budgétaire.
La réalité, bien sûr, n’est pas si simple. Dans différents pays, de nombreux citoyens et citoyennes ont décidé de comprendre la nature même de cette dette en posant des questions élémentaires, mais fondamentales : à qui doit-on, au juste ? Pourquoi a-t-on emprunté ? Les conditions dans lesquelles on a fait les prêts sont-elles acceptables ? Les taux d’intérêt sont-ils justifiables ? Qui profite de la dette ?
Répondre à ces questions permet d’éclaircir bien des choses. Par exemple, apprendre que notre dette nous appartient, principalement par le biais d’obligations achetées par des compatriotes, est rassurant : la dette est à l’abri de la spéculation et reste dans les mains d’épargnants qui ne sont pas à la recherche de liquidité et de rendements très élevés. Ce qui n’est pas le cas si la dette est transformée en produit financier et appartient à des étrangers qui spéculent, comme en Grèce, un cas extrême et dramatique.
Il nous faut savoir aussi quelle est la part illégitime de la dette. Emprunter à des taux élevés, pour des contrats dans le secteur de la construction dont les coûts sont exagérés, est-il vraiment acceptable ? Ne serait-il pas nécessaire, au Québec, d’observer les effets de la collusion et de la corruption sur notre dette ? Peut-être serait-il tout simplement possible d’annuler cette dette que l’on pourrait qualifier d’illégitime, ainsi qu’on l’a fait dans certains pays, comme l’Équateur…
Il faut comprendre le lien entre les dépenses publiques et la dette. Dans beaucoup d’États, la dette a considérablement augmenté, alors que les dépenses sont restées stables. D’où vient cet écart ? Comment expliquer l’inflation de la dette dans un contexte de stabilité budgétaire ? Il nous serait alors possible de révéler des choix douteux qui ne profitent pas à la majorité, notamment au plan des politiques fiscales.
Tout ceci nous montre l’importance de bien saisir la composition d’une dette qui sert trop souvent d’épouvantail. Dans plusieurs pays, des citoyens et citoyennes se mobilisent et demandent une vérification comptable citoyenne de la dette — ou, dans le sabir anglicisé de nos camarades européens, un audit de la dette. Ce travail devient fondamental pour évaluer plus efficacement les politiques budgétaires des gouvernements.
Au Québec, cet exercice est tout aussi nécessaire, même si aucune mobilisation à ce sujet ne semble véritablement amorcée. Il suffit de constater à quel point le poids de notre dette a influencé les choix dans notre dernier budget. Sur son site Web, l’Institut économique de Montréal affiche un « compteur de la dette québécoise » affolant tant les chiffres tournent vite. On ne cessera pas de sitôt de nous effrayer avec la dette qui pèsera sur nos enfants dès leur naissance, ou sur l’« état de nos finances publiques » si désastreux qu’on ne peut plus rien se payer.
Comprendre la nature de notre dette est une façon de se réapproprier la démocratie, en évitant de se laisser berner par des chiffres qui ne veulent rien dire si on ne parvient pas à les analyser.