Dossier : Démocratiser l’économie
À chacun son budget !
Les budgets gouvernementaux ne sont pas des documents à la portée de tout le monde. Il s’agit de textes arides, denses et pour tout dire, plutôt ennuyeux ! Pourtant, ce dont il est question devrait intéresser la vaste majorité d’entre nous. Dans un budget, le gouvernement décide des services qu’il compte rendre disponibles à la population et la manière adéquate de les financer. Bref, on y parle, dans le doux langage soporifique de la comptabilité, un peu beaucoup de nos destinées collectives.
Pourtant, l’exercice budgétaire n’est pas des plus ouverts. Un budget d’État se conçoit dans le confort et la discrétion des officines ministérielles et est dévoilé sous l’étroite supervision des stratèges politiques du parti au pouvoir. L’idée derrière ces opérations n’est pas tant que nous comprenions les tenants et aboutissants de l’exercice pris dans son ensemble, mais bien que nous soyons convaincus que le ministre en place a fait les bons choix.
Les autres budgets
Démocratiser l’économie, c’est donc aussi démocratiser les débats autour de la conception et de l’adoption des budgets publics. Certains parlent de budget participatif, d’autres de l’élaboration d’un budget alternatif (lire à ce sujet le texte de Paul Leduc Browne plus loin dans ce dossier). Au Québec, plusieurs groupes ont voulu ouvrir le débat budgétaire en préparant des propositions fiscales destinées à renverser la tendance aux diminutions des revenus de l’État et aux coupes dans le financement des services à la population. Ces tentatives peuvent être vues comme des essais de démocratisation de l’exercice budgétaire. En soumettant aux débats publics les revendications fiscales provenant des mouvements sociaux, ces propositions sur les finances publiques ont le mérite d’avoir fait entendre des points de vue critiques.
L’Alliance sociale
L’Alliance sociale est le regroupement de sept organisations syndicales et de deux fédérations étudiantes [1]. Depuis 2010, l’Alliance propose, durant la période de consultation prébudgétaire, une série de mesures visant à modifier le régime fiscal québécois dans l’optique d’un meilleur financement des services publics et d’une structuration plus progressiste de l’effort fiscal demandé à la population. De plus, l’Alliance s’oppose au virage tarifaire mis en place par l’ancien gouvernement lors du dépôt du budget 2010-2011, notamment l’instauration de la taxe santé et l’augmentation des droits de scolarité.
Quant aux propositions, l’Alliance met de l’avant des modifications au régime fiscal des particuliers et des entreprises. Ainsi, il est proposé entre autres d’instaurer un quatrième palier d’imposition pour les hauts revenus, de mettre en place une taxe à la consommation sur les produits de luxe et de créer un impôt minimum pour les entreprises.
Coalition opposée à la tarification
Près d’un an avant la naissance de l’Alliance sociale, s’est constitué un autre regroupement de 140 groupes sociaux destiné à combattre les mesures budgétaires d’inspiration néolibérale. Dès l’automne 2010, la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics [2] a rendu publique une liste d’alternatives fiscales visant à faire la démonstration qu’il était possible de renflouer les coffres de l’État sans nécessairement passer par le recours à une fiscalité régressive [3].
Alternatives fiscales et économies potentielles
- Réinstaurer la progressivité de l’impôt des particuliers : 2,6 milliards $
- Rétablir un équilibre entre les impôts des particuliers et les impôts des entreprises : 3 milliards $
- Lutter contre la fraude : 1,4 milliard $
- Cesser d’embaucher des compagnies privées dans certains services publics : Mesures non chiffrées
- Réformer la politique du médicament : 1,2 milliard $
- Total des revenus/économies projetées : 8,2 milliards $
Source : Pour plus de détails sur les mesures proposées par la coalition, voir : http://www.nonauxhausses.org/wp-content/uploads/Alternatives-version-8x113.pdf
Le tableau ci-contre expose les grandes lignes des propositions avancées par la Coalition. On le voit, certains thèmes recoupent ce qui est également défendu au sein de l’Alliance sociale. Dans les deux cas, une attention particulière est mise sur la nécessaire réforme de la fiscalité des plus riches et des entreprises. Depuis 2010, ces deux éléments semblent donc faire consensus dans les milieux progressistes comme référents communs de revendications et de mobilisation.
Le rêve impossible
À ces deux initiatives s’ajoutent plusieurs autres formes d’interventions dans le débat fiscal, qui ont toutes comme caractéristiques de viser une meilleure redistribution des richesses. En mars 2010, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a publié une note de recherche [4] sur la question des alternatives fiscales où il était proposé d’instaurer une structure d’imposition à dix paliers. De plus, Québec solidaire, à l’occasion de chaque campagne électorale depuis 2007, présente un cadre budgétaire [5] afin de chiffrer le coût de ses promesses ainsi que les moyens de les financer.
Il semble donc que toute la gauche s’est donné le mot : l’heure est au débat fiscal. Malgré cela, aucune de ces initiatives n’est pourtant encore parvenue à former un contre-projet budgétaire global. Dans les prochaines années, il serait intéressant que se développe au Québec une coalition capable de mettre en place un véritable budget alternatif. Le chercheur en moi rêve un peu…
[1] FTQ, CSN, CSQ, CSD, SFPQ, APTS, SPGQ, FEUQ et FECQ.
[3] La fiscalité régressive est une forme de taxation qui s’avère proportionnellement plus petite à mesure que le revenu d’une personne augmente. À l’inverse, une fiscalité progressive est une forme de taxation qui augmente à mesure que le revenu personnel croît.