Mexique
Résistance populaire face aux minières canadiennes
La demande pour les métaux et minéraux non métalliques a monté en flèche depuis 2000, sous l’effet conjugué de la croissance asiatique et de la crise financière occidentale, qui fait rechercher des valeurs sûres comme l’or. Dans leur dernier ouvrage [1], Alain Deneault et Wiliam Sacher soulignent comment le laxisme de la législation canadienne et les conditions particulièrement favorables de la Bourse de Toronto ont stimulé la croissance des entreprises minières au Canada, pour le plus grand bénéfice des spéculateurs. Non seulement le Canada est-il un paradis fiscal pour les entreprises minières, mais le gouvernement « couvre » les opérations de ces entreprises à l’étranger, rendant toute poursuite pratiquement impossible.
Le Canada est ainsi devenu la base d’opérations rêvée pour des transnationales désireuses d’exploiter des mines où que ce soit dans le monde. Selon Deneault et Sacher : « Plus de 75 % des sociétés mondiales d’exploration et d’exploitation minière ont leur siège social au Canada et 60 % de celles qui sont cotées en Bourse le sont à la Bourse de Toronto. » En fait, plus de 40 % des entreprises minières enregistrées au pays n’y ont aucun investissement ! Le gouvernement canadien joue aussi un rôle « proactif » dans cette expansion. Par exemple, Julian Fantino, ministre de la Coopération internationale, déclarait le 23 novembre dernier : « Le rôle de l’ACDI doit être d’appuyer les entreprises canadiennes [à l’étranger] à diminuer la pauvreté ! [2] »
Nous examinerons ici brièvement l’impact de cette offensive minière canadienne au Mexique et la prise de conscience qu’elle a suscitée dans deux points du pays.
La politique minière mexicaine à l’heure de l’ALÉNA
En 1992, le gouvernement de Salinas de Gortari frappe un coup double : il privatise les titres communautaires des ejidos [3] et il transforme le code minier en s’alignant sur la législation la moins contraignante pour le capital : celle du Canada, qui établit la priorité de l’extraction minière sur tout autre utilisateur du sol [4]. La nouvelle Ley Minera de 1992, dans son article 6, stipule aussi que « l’exploration, l’exploitation et la transformation des minéraux [...] auront la préférence sur toute autre forme d’utilisation ou de mise en valeur du terrain. »
Entre 2000 et 2006, le gouvernement de Vicente Fox a concédé 17 629 claims, couvrant une surface de 30 millions d’hectares, tandis que son successeur a été un peu plus réservé, avec à peine 8 414 claims, pour un total de 22 millions d’hectares [5]. En tout, c’est le quart de la surface nationale qui a été ainsi aliénée.
Les entreprises minières canadiennes se sont taillé une bonne part du gâteau, avec 2 600 concessions dans toutes les régions du pays. En août 2012, par exemple, 833 nouveaux projets miniers étaient enregistrés par 301 entreprises, dont à peine 12 étaient mexicaines, contre 202 canadiennes [6]. Elles partagent le butin avec des magnats du capitalisme mexicain : Carlos Slim Helú, l’homme le plus riche du monde, patron du groupe Frisco ; Germán Larrea, du Grupo México ; et Alberto Balleres d’Industria Peñoles. Parmi les cinq plus grandes entreprises étrangères, l’une est australienne (Azufre Minerals) et quatre sont canadiennes : Almaden Minerals, Die Bras Exploration, Pediment Gold Corp et Goldcorp.
À San Luis Potosi, les minières canadiennes contre la population
La mine d’argent de Cerro de San Pedro, dans l’État de San Luis Potosi, à 425 kilomètres au nord de Mexico, a été exploitée de façon traditionnelle par les Espagnols depuis la fin du XVIe siècle.
En 1995, l’entreprise canadienne Metallica Resources a décidé de relancer la production à travers sa filiale Minera San Xavier (MSX), en introduisant la technologie à ciel ouvert, qui était alors relativement neuve au Mexique. Disposant d’appuis politiques importants, MSX a mis en œuvre le projet, en n’y allant pas avec le dos de la cuiller : achats illégaux de terrains par des prête-noms, fermeture de chemins communaux, destruction d’édifices patrimoniaux. Dans cette zone semi-désertique, MSX pompe de la nappe phréatique 16 millions de litres d’eau par jour, qu’elle mêle à 16 tonnes de cyanure. « Chaque gramme d’or extrait requiert 481 000 litres d’eau, 7 099 litres de diesel, 1 864 kilos d’explosifs. En outre, pour séparer l’or et l’argent du minerai broyé, on emploie de grandes quantités de cyanure (10 884 grammes) ou de mercure, deux produits hautement toxiques, qui se retrouveront dans les eaux résiduelles [7] ». De plus, Cerro de San Pedro fait partie de la zone de rechargement des nappes phréatiques qui alimentent en eau deux villes (dont la capitale, San Luis) qui totalisent 850 000 habitants [8]. Grâce à 25 tonnes d’explosifs par jour, MSX a extrait de la montagne des millions de tonnes de roc, créant un cratère de 67 hectares. Après quelques années d’exploitation, deux immenses crassiers ont été formés, l’un contenant 117 millions de mètres cubes de résidus soufrés, l’autre, 637 millions de tonnes de résidus contaminés au cyanure. Elle a réussi à obtenir un permis du ministère de la Défense (SEDENA) pour utiliser les explosifs à proximité du village, et ses pressions sur la municipalité pour obtenir des autorisations sont allées jusqu’à l’occupation de la mairie par des fiers-à-bras ! La dissolution de Metallica Resources, en 2008, et la vente de ses actifs à New Gold, également enregistrée à la Bourse de Toronto, n’a rien changé, car les nouveaux propriétaires ont poursuivi dans la ligne des anciens.
Située à 12 kilomètres à peine de la capitale de l’État, l’exploitation à ciel ouvert est apparue à de larges secteurs de la société civile comme un danger majeur pour l’environnement et la santé publique. À cela s’ajoutent les préoccupations culturelles, dans une région où les sites historiques abondent. Une interminable saga juridique s’est amorcée il y a quinze ans entre MSX et l’opposition, regroupée dans le Pro San Luis Ecológico, devenu avec les années le Frente Amplio Opositor (Front large d’opposition). Depuis 1999, l’opposition s’est attachée à démontrer l’invalidité des permis d’exploitation de l’entreprise. Elle a utilisé la mobilisation pacifique et toutes les ressources légales disponibles contre la destruction d’une zone à l’écologie fragile et à la grande valeur patrimoniale.
Après avoir misé sur l’ignorance initiale des conséquences de l’exploitation à ciel ouvert pour s’installer, Minera San Xavier, forte de l’appui politique des gouverneurs de l’État de San Luis et du gouvernement central, a poursuivi ses opérations en toute illégalité jusqu’à ce jour. Elle a eu systématiquement recours à la corruption des autorités locales et à la complaisance de celles de l’État et du pays, ainsi qu’à la répression des opposants. La lutte n’est pas finie, cependant, et le Frente Amplio Opositor demeure confiant de l’obliger à cesser prochainement ses activités.
Dans la Sierra Norte de Puebla : des Autochtones contre l’homme le plus riche du monde
La Sierra Norte de Puebla, à environ 250 kilomètres au nord-est de Mexico, fait depuis peu l’objet d’une offensive combinée de deux transnationales canadiennes, Almaden Minerals et Gold Corp, et de plusieurs grandes entreprises mexicaines comme Minera Plata Real et Frisco, propriété du Mexicain Carlos Slim. Le gouvernement a octroyé des concessions « pour exploration et exploitation », totalisant 56 000 hectares, dans six municipios [9]. Pour satisfaire leurs besoins en énergie, ces entreprises minières ont donc décidé de produire leur propre électricité, en harnachant les cours d’eau encaissés de la basse montagne adjacente. Dès avril 2011, Grupo México [10] a obtenu du gouverneur de Puebla un permis pour construire trois barrages sur la rivière Ajajalpan, en pays totonaque. Depuis, ses agents et ceux de la firme-conseil Comexco font pression sur les cultivateurs riverains pour qu’ils vendent leurs terres et on a commencé la construction d’une route.
À Tetela de Ocampo, la Minera Frisco (propriété de Carlos Slim) a obtenu en 2009 une concession de 10 000 hectares, valable pour cinquante ans, pour exploiter l’or et l’argent de la montagne La Espejera. Frisco a commencé à déboiser, à ouvrir les pistes et a même fait une centaine de forages. En riposte, les habitants ont formé Tetela Hacia el Futuro, coalition qui s’oppose à toute entrée des minières. Selon le président de la coalition, Germán Romero : « C’est un écocide et un ethnocide. Ils vont empoisonner au mercure l’eau qu’on boit. » Les 25 000 résidants vivent de la production de pommes, de pêches, de piments et de tomates, mais ce sont 40 000 personnes qui dépendent de l’eau des rivières Papaloateno et Zempoala. « On n’a pas besoin de leurs emplois ni de leur argent ! [11] » Ici, à la différence de Cerro de San Pedro, les autorités municipales font bloc avec les résidants, et le maire, Marco Antonio Uribe, se refuse à donner les permis de construction dont Frisco a besoin. Son administration a d’ailleurs promulgué un plan d’aménagement qui déclare La Espejera « zone protégée [12] ». Les initiatives de Tetela ont servi de base de rassemblement pour les protestations ailleurs dans la Sierra, comme l’a montré le forum organisé en juillet dernier dans ce municipio, sur le thème : « Sans or, on vit ; sans eau, on ne vit pas. »
Dans le municipio voisin de Zautla, face à Almaden Minerals, une des principales entreprises minières canadiennes au Mexique, une vaste coalition s’est dressée contre le projet, malgré les quelques cadeaux offerts par Almaden. Lassée, celle-ci a vendu ses titres à une compagnie minière chinoise, JDC Minerales. Cette dernière ne se doutait sans doute pas dans quel guêpier elle se fourrait : les permis d’exploitation étaient invalides ou inexistants. Finalement, le 22 novembre dernier, après la fin de l’ultimatum imposé à JDC, plus de 5 000 paysans ont marché sur la mine, ont arraché la palissade de protection et ont expulsé les cadres et les travailleurs chinois [13].
La défense du territoire et de l’eau unit présentement les communautés de haute et de basse montagne dans un Front antiminières : les premières voient leur environnement menacé de saccage par l’exploitation minière à ciel ouvert, les secondes verraient leurs terres inondées et leurs sources d’eau contaminées au cyanure et au mercure.
Actions directes et mobilisations régionales au programme
L’expansion des entreprises minières au Mexique, tout comme au Canada, répond à la fois à une conjoncture extrêmement favorable sur le marché mondial des métaux, précieux et industriels, et au contexte juridico-politique très permissif qui caractérise les deux pays : l’exploitation minière y a priorité sur tout autre usage du sol, les autorités la voient d’un très bon œil et les recours légaux sont peu nombreux.
Devant ces faits, la stratégie actuelle des groupes affectés est d’empêcher l’installation des compagnies minières, comme à Caballo Blanco au Veracruz et, plus récemment, dans la Sierra Norte de Puebla. En l’absence de tout appui des hautes instances gouvernementales, la population compte avant tout sur sa cohésion, particulièrement forte dans les communautés autochtones. On n’hésitera pas à combiner l’action directe (expulsion des mineurs, arrêts des bulldozers) avec la tenue de forums et d’assemblées pour informer la population et prendre des décisions collectives, comme le veto récent à Cuetzalan. La mise en place de coalitions larges comme le Réseau mexicain des affectés par les mines (REMA) et l’Assemblée véracruzane d’initiatives et de défense environnementale (LAVIDA) a permis une meilleure circulation de l’information et le partage d’expériences dans des forums régionaux.
[1] Paradis sous terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale, préface de Richard Desjardins, Montréal, Écosociété, 2012.
[2] Voir l’article de Kim Mackrael, Globe and Mail, 23 novembre 2012.
[3] Les ejidos sont des communautés dotées de terres après la réforme agraire. En 1993, elles représentaient plus de la moitié des terres cultivées.
[4] Voir Paradis sous terre, op. cit., p. 80.
[5] Source : Secretaría de Economía, Dirección General de Minas, 2011.
[6] Arturo Alfaro Galán, « Graves daños sociales y ambientales generan las mineras en Puebla », La Jornada de Oriente, 7 décembre 2012.
[7] Ibid.
[8] James del Tedesco et Mario Martínez Ramos, « Mexique : conflit minier à Cerro de San Pedro (San Luis Potosi), lorsque la justice n’existe plus… », Alternatives au Développement Extractiviste et Anthropocentré (ALDEAH), 8 juillet 2009.
[9] Les municipios sont la structure administrative locale de base. Dans les régions rurales, ils regroupent plusieurs agglomérations secondaires autour d’un chef-lieu (cabecera). Ils comptent des milliers, parfois des dizaines de milliers d’habitants.
[10] Grupo México, propriété du milliardaire Germán Larrea, et qui fait ici office de producteur d’énergie hydroélectrique, est aussi une transnationale minière qui possède, outre la célèbre mine de Cananea, des intérêts jusqu’au Pérou (Southern Peru Copper Mine) et elle vient de racheter le géant étatsunien ASARCO, en faillite.
[11] Magaly Herrera, « Mexican town takes on world’s richest man », EFE, 22 juillet 2012.
[12] « Protestan contra explotación minera en Tetela, Puebla », El Internacional, 15 juillet 2012.
[13] Marco Antonio Licona, « Cinco mil campesinos echan de Zautla a la minera china JDC », E-consulta.com, 22 novembre 2012.