Coupes à blanc dans la culture

No 048 - février / mars 2013

Culture

Coupes à blanc dans la culture

Denys Desjardins, Hubert Sabino

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement conservateur, nous assistons à diverses coupes budgétaires qui visent à transformer ou à mettre fin au financement de nombreux organismes de la société civile. Ces coupes se succèdent à un rythme si rapide, et affectent tellement de domaines, qu’il est difficile de bien comprendre les transformations inévitables que cela provoquera sur l’expression même de la démocratie au Canada. Dans le but de cerner les effets directs des récentes coupes fédérales, dans le milieu de la culture plus particulièrement, nous avons choisi de nous concentrer sur l’abolition du seul et unique programme de financement voué aux arts et à la diversité culturelle au Canada.

Le 29 mars 2012, le gouvernement fédéral de Stephen Harper déposait un budget dans lequel il annonçait des coupes de 191 millions $ dans le portefeuille du ministère du Patrimoine canadien, privant ainsi plusieurs organismes culturels (ONF, Téléfilm, Radio-Canada, etc.) d’environ 10 % de leur budget. À cela s’ajoutaient des compressions dans une variété de programmes, dont la disparition graduelle du Programme des arts, de la culture et de la diversité (PACD). La mission de ce programme était de veiller à ce que les arts et la culture canadienne soient favorisés et accessibles, tant au Canada qu’à l’étranger. Selon le discours officiel du gouvernement, ce programme avait atteint ses objectifs et son abolition permettait non seulement d’assainir les finances publiques, mais laissait au secteur privé et aux artistes le soin de financer eux-mêmes la défense et la promotion de la culture canadienne.

Autrement dit, en abolissant ce programme, le gouvernement canadien abandonne sa mission et ses responsabilités en matière de promotion culturelle, d’autant plus que les conséquences réelles et immédiates de ce changement idéologique a été de couper le financement aux deux seuls organismes aidés par le programme, soit la Coalition pour la diversité culturelle (CDC) et la Conférence canadienne des arts (CCA). D’ailleurs, après 67 ans d’existence, la CCA a annoncé récemment qu’elle fermait ses portes puisque la direction de l’organisme n’est pas parvenue à remplacer son financement public (500 000 $) par des investissements privés dans le court délai offert par le gouvernement. Rappelons que la CCA a été fondée en 1945 et qu’elle représentait plus de 400 000 artistes et professionnelles de la culture dans toutes les disciplines de la vaste communauté des arts, de la culture et du patrimoine canadien. Au cours de sa longue histoire, la CCA a démontré sa pertinence et son importance en participant notamment à la création, en 1957, du Conseil des arts du Canada, de même qu’à l’élaboration de la plupart des principales politiques culturelles fédérales, dont la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en 2005.

Bref, il s’agit d’une perte considérable pour l’ensemble de la représentation de la culture canadienne tant au pays qu’à l’étranger. Pourtant, ironiquement, lorsqu’on se réfère au Plan d’évaluation de Patrimoine canadien de 2009-2010, on découvre que selon l’évaluation effectuée par le gouvernement lui-même, le Programme des arts, de la culture et de la diversité était « une façon rentable à la fois de renforcer le secteur culturel du Canada et de faire en sorte que les accords commerciaux ne nuisent pas à l’objectif du Canada de protéger et de promouvoir ses arts et sa culture ». Cette évaluation démontrait aussi que la CCA avait « contribué à faire en sorte que la politique tienne compte de la contribution du secteur à la vie publique canadienne et la favorise », ce qui permettait de s’adresser au gouvernement d’une seule et même voix.

Museler la critique ?

Dans l’optique où le gouvernement Harper justifie l’abolition de ce programme pour des raisons essentiellement économiques, comment ne pas y voir une décision idéologique ? La décision est d’autant plus préoccupante que la troisième constatation de l’évaluation stipulait que la survie du programme serait impensable si les fonds publics lui étaient retirés. Comment alors expliquer le retrait du financement à un programme qui aurait atteint « ses objectifs et résultats escomptés [...] sans conséquences indésirables » ? Comment ne pas voir dans ce geste une tentative de musellement ? D’autant plus que, dernièrement, la CCA avait exprimé de nombreuses réserves à l’égard du projet de loi C-11 présenté par le gouvernement Harper qui proposait une refonte en profondeur de la Loi sur le droit d’auteur. Les prises de position de la CCA à cet effet, bien qu’elles étaient appuyées par 98 associations et organismes du milieu de la culture, auraient-elles à voir avec la décision du gouvernement Harper de lui couper les vivres ?

Cette hypothèse a été soulevée en chambre par certains députés du Nouveau Parti démocratique, dont Pierre Nantel, porte-parole en matière de patrimoine canadien. Dans un texte publié sur son site Internet, celui-ci reprend le discours qu’il formulait en chambre : « Il ne fait pas de doute, dans mon esprit, que la CCA a été punie par les conservateurs pour avoir été le porte-voix du milieu culturel dans le cadre de la réforme du droit d’auteur. Aussi incroyable que cela puisse paraître dans un pays démocratique et libre comme le nôtre, ils en paient aujourd’hui le prix.  [1] »

Dans un article publié dans Le Devoir, M. Alain Pineau, directeur général de la Conférence canadienne des arts affirmait lui aussi croire que le rôle de porte-parole parfois très critique de la CCA à l’endroit du gouvernement dans ce dossier sur le projet de loi C-11 y serait pour quelque chose dans la décision : « Je pense que ce serait de jouer à l’autruche que de dire qu’il n’y [a pas de lien]. [2] » Comme le suggère le député Nantel, y aurait-il un parallèle à faire entre la fermeture de la CCA et la baisse du financement de Développement et Paix, l’abolition de la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie et le musellement de la communauté scientifique, d’autres regroupements ou organismes susceptibles de contredire les positions du gouvernement ?

Un vide qui demande à être comblé

Maintenant que la CCA est entrée en dormance, qui pourra prendre son relais et honorer son large mandat ? Dans sa lettre, Alain Pineau garde l’espoir « que les milieux culturels sauront s’unir et réinventer cet outil exceptionnel  » ou que la CCA reprenne un jour ses activités. Afin d’éviter que certains dossiers tombent dans l’oubli, un conseil d’administration restreint a été mis en place à titre de tuteur de l’organisme et certains projets, tels que l’analyse annuelle du budget fédéral pratiquée depuis les années 1990, seront confiés à d’autres organismes. Les documents les plus importants de l’organisme seront déposés aux Archives nationales.

Plusieurs voix se sont déjà levées pour dénoncer ou déplorer cette perte pour le milieu culturel canadien et la Coalition culture s’ajoute à ces voix. Depuis le dernier budget fédéral, force est de constater que le milieu de la culture canadien est durement touché par les mesures budgétaires. Tel un général de guerre, Stephen Harper semble véritablement avoir pris la culture comme cible et déploie une stratégie fort efficace pour affaiblir le milieu culturel ou l’orienter en fonction de ses besoins. Heureusement que le milieu culturel a démontré sa capacité à innover dans des balises souvent très étroites...


[1Site Web du Nouveau Parti démocratique, 30 novembre 2012, http://www.npd.ca/nouvelles/les-conservateurs-ont-condamne-mort-la-conference-canadienne-des-arts.

[2Frédérique Doyon et Marie Vastel, « La Conférence canadienne des arts ferme ses portes », Le Devoir, 30 octobre 2012.

Thèmes de recherche Arts et culture, Politique canadienne
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