Arthur Manuel
Décoloniser le Canada
Arthur Manuel, Décoloniser le Canada, Montréal, Écosociété, 2018, 352 pages.
En 2015, le premier ministre Justin Trudeau a fait de son plan national de réconciliation avec les peuples des Premières Nations une des matrices principales de son programme politique. En 2020, qu’en est-il ? Le gouvernement Trudeau doit mesurer ses paroles à la réalité. Il fait face à des clameurs provenant des quatre coins du pays et stimulées par le refus de huit chefs héréditaires de la Première Nation Wet’suwet’en d’autoriser la construction du projet Coastal GasLink sur leur territoire ancestral. L’essai Décoloniser le Canada d’Arthur Manuel permet notamment d’approfondir notre compréhension des enjeux liés à la crise des trains ferroviaires. En effet, le conflit est emblématique des obstacles observés dans la lutte des Premières Nations pour la reconnaissance de leurs titres fonciers territoriaux et pour leur droit à l’autodétermination face à l’État canadien et aux gouvernements provinciaux.
Dans son ouvrage, le défunt leader autochtone Arthur Manuel signe une autobiographie qui raconte près de 50 ans d’un militantisme acharné lui ayant été transmis par son père, le grand activiste George Manuel. L’auteur, né en Colombie-Britannique, cherche à la fois à brosser un portrait de la situation du temps présent et des combats qui restent à remporter, mais aussi à survoler l’expérience du peuple secwepemc. À travers l’histoire personnelle d’Arthur Manuel et celle, plus générale, de la nation secwepemc, on fait le pont avec le récit social des autres peuples du Canada et du reste du continent. Par exemple, on questionne la colonisation des Amériques et on en souligne l’usurpation des territoires autochtones : « Les Amériques ont été dépeintes à l’origine comme terra nullius (territoire sans maître) sur les cartes européennes. La plupart du temps, pourtant, les Européens y étaient accueillis par des Autochtones, parfois dès leur arrivée. On a bien tenté de gommer cette réalité dérangeante en nous déclarant non humains, mais c’était là une théorie [théorie de la découverte] difficile à défendre à la longue, même chez les Européens ».
Arthur Manuel a fait appel à Naomi Klein et à Alexandre Bacon pour l’édifiante préface et a collaboré avec le grand chef Ronald M. Derrickson pour la postface.
Non seulement, le livre de l’activiste travaille à réajuster le tir du discours historique, dont l’élaboration demeure encore trop souvent la prérogative des groupes socialement favorisés, mais encore constitue-t-il un véritable message d’espoir destiné aux peuples des Premières Nations : « Le chemin des peuples autochtones vers la décolonisation est déjà bien tracé. Aux autres habitants du Canada de choisir le leur ». Bref, c’est un livre dérangeant, mais lumineux. Il fait partie de ces livres qui laissent une puissante empreinte sur une conscience collective de plus en plus appelée à se redéfinir.