Dossier : Vieillir
Je suis vieux, tu es vieille
Si on prétend s’intéresser au vieillissement, il y a quelque chose de paradoxal à refuser l’étiquette de vieux. Que le terme soit pris positivement ou négativement, ce qui a acquis une certaine ancienneté mérite le qualificatif de vieux.
Plutôt que de se rendre un peu ridicule à refuser absolument de se faire appeler âgé, aîné ou vieux, il est beaucoup plus simple d’accepter la description objective et de se l’approprier [1]. Dans mon enfance, les personnes qui avaient pris de l’âge se glorifiaient d’être vieilles. Qui se rappelle les fameuses émissions de La soirée canadienne de CHLT Sherbrooke avec le célèbre animateur Louis Bilodeau dans laquelle on visitait les villages du Québec et où l’on se faisait toujours un devoir de présenter le doyen du village ? On se souviendra également que certain·e·s vieux·vieilles poussaient la coquetterie jusqu’à dire 87 ans et demi pour bien marquer que l’âge était avancé.
Ne préfère-t-on pas les cheddars vieillis, les grands vins ne s’améliorent-ils pas en prenant de l’âge ? De leur côté, les êtres humains… deviennent plus fragiles, moins agiles et plus sujets aux maladies pulmonaires. Une fois cela dit, à quoi sert-il de faire semblant qu’on n’a pas l’âge qu’on a ? À quoi sert-il de dire qu’on n’est pas vieux sinon à renforcer le préjugé selon lequel ce qui est vieux n’est plus bon ?
Je suis vieux, je commence à être de plus en plus sourd, je ne me lève pas aussi rapidement qu’autrefois de mon lit, mais je suis capable de réfléchir, d’écrire, de discuter, de rendre service, de m’informer, d’informer les autres… On a beau être dépassé sur certains sujets, on ne l’est pas sur tous. De la même façon que les enfants ne sont pas encore développés et qu’il ne faut pas cacher que l’enfance est une période de dépendance physique par rapport aux adultes, il n’y a rien de mal à accepter qu’une certaine dépendance physique nous affecte en vieillissant. Il existe aujourd’hui de plus en plus de moyens techniques (aide à la marche, à la préhension des objets, à l’audition, à la vision, etc.) qui permettent de réduire la dépendance.
Le cerveau des enfants n’est pas encore complètement développé, on ne peut pas faire semblant qu’il l’est. Celui des vieux·vieilles est sur le déclin, mais il a tant de ressources qu’on peut bien utiliser toutes celles qui restent. On n’a pas à rougir d’être un enfant ; on n’a pas à rougir d’être vieux·vieille. Nous sommes vieilles, nous sommes vieux.
[1] Mon conjoint et moi nous sommes tellement réapproprié le vocable de vieux, que nous avons créé la fête de la Saint-Pruneau, célébrée le 8 février de chaque année, pour laquelle nous avons ironiquement récupéré l’insulte pruneau, qui sert à décrire les vieux·vieilles : c’est sec, ridé et ça fait chier. Certes, nous militons plutôt pour l’engagement joyeux des aîné·e·s.