Dossier : Vieillir
Technophobes, les vieilles personnes ?
La relation entre la vieillesse et la technologie est bidirectionnelle. Il n’y a pas que la réticence du vieux ou de la vieille à utiliser un gadget, il y a aussi celle de l’industrie à permettre à l’utilisateur·trice la pleine maîtrise de ses outils et le choix des fonctions dont il ou elle a besoin.
Les personnes âgées sont souvent décrites comme complètement réfractaires à la nouveauté et à la technologie. Outre le fait qu’elles s’adaptent plus difficilement aux changements et qu’elles préfèrent le confort de leurs habitudes, il y a peut-être aussi une distance critique qu’elles craignent moins d’exercer parce qu’elles tiennent davantage à leur autonomie que certaines personnes plus jeunes prêtes à se laisser envahir par des appareils avides de données.
Combien de fois des techniciens que j’ai rencontrés ne savaient pas exactement ce qu’ils faisaient et étaient incapables d’expliquer les procédures qu’ils mettaient en œuvre. Quand une personne supposée spécialiste de la technologie vous dit : « On va essayer cette formule-là, peut-être que ça va marcher », on a plus l’impression de faire affaire avec la magie qu’avec la science ou la technique.
Je me rappelle aussi un système de facturation électronique qui m’avait été proposé par une compagnie de téléphone et qui permettait de faire tous les tableaux possibles et imaginables pour mesurer statistiquement les dépenses de frais téléphoniques, sauf qu’il ne faisait pas la seule chose dont j’avais besoin : me dire l’heure, la date et la durée de chaque appel. Le système n’avait pas été programmé pour cela. J’ai donc dû revenir à la facturation papier.
Par ailleurs, on fabrique des tablettes simplifiées destinées aux seniors. N’est-ce pas les infantiliser ? Si on voit facilement les avantages des gadgets liés aux questions de santé, par exemple les systèmes de monitoring ou encore les appareils permettant de joindre un bouton d’appel et un traceur GPS, cela pose des questions sérieuses quant à la limite floue entre l’aide et la surveillance [1].
C’est d’ailleurs un peu fatigant de ne parler que des enjeux de santé. Il y a quand même autre chose dans la vie des aîné·e·s que les pilules et les problèmes de mobilité. Si les personnes âgées sentent moins le besoin de se procurer les tout derniers appareils électroniques, c’est peut-être aussi que le goût de la compétition s’affadit avec l’âge.
Il reste qu’avec les années, la proportion des vieilles·vieux qui sont branché·e·s augmente. En 2009, 47 % des aîné.e·s utilisaient Internet [2]. En 2019, ils et elles sont 62 % à l’utiliser quotidiennement (contre 95 % des 25-34 ans en 2018), 68 % d’entre eux ont un ordinateur, 51 % ont une tablette, 46 % un téléphone dit « intelligent ».
Si le réseau social le plus utilisé par les 25-34 ans est YouTube (83 %), Facebook arrivant en deuxième avec 81 %, chez les personnes âgées, c’est l’inverse soit 40 % pour Facebook (2018) contre 27 % pour YouTube. C’est compréhensible quand on sait que la possibilité de tout filmer sur téléphone est plus à la portée des jeunes. Par ailleurs, Facebook permet de rester en contact avec la famille et les ami·e·s éloignés dans l’espace, une préoccupation plus grande pour les aîné·e·s.
D’autres facteurs sont aussi à considérer, comme le fait que le groupe 65 ans et plus ne soit pas très homogène. En effet, les 80, 90 et 100 ans ont fort probablement un comportement différent des personnes de 65 à 79 ans. L’autonomie financière et la mobilité physique y jouent aussi un rôle.
Question de confiance
Quand on étudie le rapport à la confiance envers la maison dite « intelligente », on constate que les 18-24 ans lui font confiance à 83 % et les 25-34 ans à 59 %. Pour les 65 ans et plus, ils sont seulement 40 %, mais c’est déjà assez important, ce qui n’est pas si loin de la tranche d’âge qui les précède, soit les 55-64 ans avec 43 %. La méfiance est d’ailleurs justifiée, surtout quand on sait que les Alexa, OK Google et autres, qui nous sont vendus comme des systèmes de gestion de maison intelligente, ne sont en fait que des télécommandes vocales branchées à une centrale d’où il est possible d’exercer encore une fois un capitalisme de surveillance [3]. On rappellera ici que la gabegie des failles de sécurité chez Desjardins pendant l’année 2019 n’a rien fait pour créer un sentiment de confiance auprès des systèmes informatisés.
Ainsi, plus on est jeune et plus on a été habitué à être constamment « surveillé » par la technologie, plus on lui fait confiance. Mais, plus on vieillit, plus on est réticent à abandonner certaines prises de décisions à des algorithmes, d’autant plus qu’on n’a pas pris part à l’élaboration de ces fameux critères de décision.
Il serait intéressant de faire des analyses plus fines et de comparer les raisons qui motivent l’enthousiasme à celles qui motivent les réserves. La connaissance par les aîné·e·s des motifs d’enthousiasme chez les jeunes pourrait tirer l’enthousiasme des vieilles·vieux un peu vers le haut de même que la connaissance par les jeunes des motifs de réserve chez les aîné·e·s pourrait tirer l’enthousiasme des plus jeunes un peu vers le bas. Quand on n’a rien, on n’a pas grand-chose à perdre peuvent se dire les jeunes, mais quand on n’a plus rien, on ne veut plus rien risquer peuvent se dire des personnes plus vieilles.
[1] Voir l’article de l’Appui pour les proches aidants. Voir aussi l’article sur la sécurité et les objets connectés de l’organisme français TousEnTandem, qui favorise contre rémunération le pairage entre personne âgée et étudiant·e.
[2] Toutes les données qui suivent dans l’article proviennent de deux enquêtes du CEFRIO (organisme d’aide aux entreprises et aux organisations dans le domaine du numérique). Consultez ce document ici.
[3] Lire à ce sujet The Age Of Surveillance Capitalism de Shoshana Zuboff.