Loi sur l’âge du consentement sexuel
Lutte contre le crime sexuel ou répression des jeunes ?
par Monika Dunn
Parmi les mesures proposées par le gouvernement conservateur afin de lutter contre les « crimes violents », la mesure sur « l’âge de protection » vise à hausser l’âge de consentement à une activité sexuelle non exploitante de 14 à 16 ans. Non seulement cette disposition n’offrira pas davantage de sécurité aux citoyenNEs canadienNEs, mais elle rate sa cible en s’en prenant directement aux jeunes. Au lieu de les protéger, cette mesure risque d’avoir des conséquences néfastes pour eux.
Le 28 novembre dernier, la Chambre des communes a adopté en troisième lecture le projet de loi C-2, « loi modifiant le code criminel et d’autres lois en conséquence ». Le dépôt de ce projet de loi a été le premier geste politique des Conservateurs au cours de cette session parlementaire et a fait suite au discours du trône du 16 octobre, dans lequel il annonçait clairement ses intentions de « s’attaquer aux crimes violents et mieux protéger les Canadiens et les Canadiennes et leurs communautés, car aucune responsabilité gouvernementale n’est plus grande que le droit à la sécurité ». Or, ce coup d’éclat politique des Conservateurs, qui d’un côté se vantent d’agir rapidement dans l’intérêt des citoyenNEs et de l’autre accusent l’opposition de leur mettre des bâtons dans les roues, cache que quatre des cinq mesures contenues dans ce projet de loi omnibus avaient été déposées à la session parlementaire précédente et qu’elles sont mortes au feuilleton en raison de la prorogation de la session parlementaire, annoncée par ces mêmes Conservateurs en octobre dernier.
Tout d’abord, il faut savoir que le Canada possède à l’heure actuelle tous les outils législatifs pour lutter contre la prédation sexuelle chez les jeunes. Le Code criminel du Canada protège déjà les jeunes contre les relations sexuelles vécues dans un contexte d’exploitation avec l’instauration en 2005 de nouvelles protections pour les jeunes de moins de 18 ans contre l’activité sexuelle empreinte d’exploitation. Dans ce contexte, en quoi la hausse de l’âge du consentement à des activités sexuelles protègerait davantage les enfants contre les prédateurs sexuels, comme par exemple les enfants de moins de 12 ans, qui constituent près du quart des victimes d’agression sexuelle ? Afin d’agir efficacement pour la protection des enfants, le gouvernement devrait surtout renforcer l’application des lois déjà existantes au sein de l’appareil judiciaire pour envoyer un message clair aux prédateurs sexuels.
Impacts directs sur les jeunes
Le projet de loi sur l’« âge de consentement », loin de protéger les jeunes, risque plutôt d’avoir des conséquences néfastes sur eux. Premièrement, ce projet de loi crée beaucoup de confusion : plusieurs le perçoivent comme une criminalisation des activités sexuelles des jeunes, et ce, malgré la mesure de proximité d’âge de cinq ans qui y est prévue [1]. Bien que ce risque existe pour un certain nombre de personnes, le principal enjeu ici est que cette perception ne réduise les jeunes au silence. Inquiets d’enfreindre la loi ou de peur que la confidentialité ne soit pas respectée, les jeunes pourraient devenir plus secrets au sujet de leur sexualité au lieu d’aller chercher l’information dont ils ont besoin et de requérir les services auxquels ils ont droit. La confusion est présente aussi chez les adultes. Nombreux sont les intervenantes qui nagent dans l’incertitude quant à leurs obligations juridiques. Ainsi, il y a fort à parier que plusieurs refuseront d’offrir le service demandé de peur d’avoir à dénoncer la personne qui est devant eux. D’autres pourraient également freiner l’accès à des services ou à de l’information par conviction morale ou religieuse, s’appuyant sur cette nouvelle disposition du Code criminel pour justifier leur refus.
Deuxièmement, le risque que de nouveaux obstacles se posent quant à l’accès aux services de santé, d’information ou de référence en matière de sexualité, ainsi qu’aux ressources d’aide pour les jeunes, est bien réel. Au Québec par exemple, toute personne âgée de 14 ans et plus peut recourir aux soins de santé qui ne requièrent pas plus de 72 heures d’hospitalisation sans consentement parental. Or, qu’arrivera-t-il si l’âge de consentement sexuel passe à 16 ans ? Les jeunes de 14 à 16 ans auront-ils toujours accès aux services comme la contraception, l’avortement ou le dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) sans consentement parental et avec la garantie que la confidentialité sera préservée ?
L’application d’une telle mesure législative ne rendra les jeunes que plus vulnérables, ce qui risque d’avoir des conséquences désastreuses sur leur santé et leur sexualité. Selon une étude comparative entre les États-Unis et trois pays européens, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France, nos voisins du sud ont le pire bilan en matière de santé sexuelle chez les jeunes : taux de grossesse à l’adolescence 4 à 9 fois plus élevé, taux d’ITSS courantes (gonorrhée, chlamydia, syphilis) pouvant être jusqu’à 74 fois plus élevé et un taux de prévalence d’infection au VIH chez les 15 à 24 ans 3 à 6 fois plus important que dans l’un de ces trois pays européens [2]. La différence ? Elle réside dans l’approche adoptée par ces pays. Les États-Unis ont privilégié une approche répressive où il est difficile, parfois même impossible, pour les jeunes d’obtenir des services d’information ou de soins de santé sexuelle alors que les trois pays européens observés dans l’étude ont opté pour une approche beaucoup plus ouverte en la matière. Malheureusement, le gouvernement conservateur cherche davantage à suivre le modèle américain et son approche répressive.
De plus, la mesure sur l’« âge de protection » maintient une mesure discriminatoire qui vise principalement les homosexuels puisqu’elle ne propose pas l’abrogation de l’article 159 qui interdit les rapports sexuels anaux jusqu’à l’âge de 18 ans. Par ailleurs, n’est-il pas contradictoire d’exiger que toute personne réponde de ses actes devant les tribunaux adultes dès l’âge de 14 ans alors que cette même personne ne serait pas en mesure de consentir à une relation sexuelle non exploitante ?
L’éducation avant la répression
Il va de soi que le meilleur outil de prévention en matière de santé sexuelle et reproductive chez les jeunes est l’accessibilité à de l’information et à des services dans ce domaine, dont l’éducation sexuelle. Ne serait-elle pas également la meilleure façon de protéger les jeunes contre la prédation sexuelle ? Une éducation sexuelle de qualité, qui favorise les rapports sexuels dans un contexte égalitaire, respectueux et sans violence, dans laquelle on leur donne les outils nécessaires pour qu’ils soient en mesure de faire des choix éclairés, d’agir de manière responsable et de discerner une relation abusive d’une relation consentante, aurait de meilleures chances d’avoir un impact positif sur les jeunes que le fait de hausser l’âge de consentement sexuel.
Pourtant, le gouvernement justifie sa démarche en disant vouloir assurer une meilleure protection aux enfants et aux adolescentes contre les prédateurs sexuels adultes. Pour ce faire, il fait preuve de démagogie en jouant sur les mots et sur l’opinion publique. D’une part, il ne parle plus d’âge de consentement, mais bien d’« âge de protection ». D’autre part, il s’appuie sur un sondage Pollara effectué en 2002 pour « démontrer » que la population canadienne est en faveur de son projet de loi sur l’âge de consentement sexuel. Malgré les résultats du sondage, selon lequel 72 % de la population canadienne était en faveur de majorer l’âge de consentement à 16 ans, le risque de mauvaise compréhension est important. Les personnes ayant répondu au sondage comprennent-elles tous les enjeux liés à la hausse de l’âge de consentement ou bien émettaient-elles leur opinion à savoir si elles croyaient souhaitable que les jeunes de 14 ans aient une vie sexuelle active ?
On ne peut pas être contre la vertu. L’objectif de protéger les enfants contre les prédateurs sexuels est tout à fait louable. Malheureusement, l’angle adopté par le gouvernement Harper n’est pas le moyen à privilégier. Malgré ce que bon nombre de personnes pensent, hausser l’âge de consentement à des activités sexuelles à 16 ans ne fera pas en sorte que les jeunes retarderont leur première relation sexuelle. Au Canada, l’âge moyen de la première relation sexuelle est de 14 ans [3]. La question ici n’est donc pas de savoir si nous sommes en accord avec le fait que les jeunes aient des relations sexuelles à cet âge, mais comment, collectivement, nous souhaitons les soutenir. Il serait grand temps de se fier davantage aux vertus de l’éducation des jeunes dans une perspective d’émancipation et de respect de leur intégrité et d’abandonner l’approche répressive.
[1] La mesure de proximité d’âge de 5 ans prévoit qu’une personne de 14 ans pourra avoir des relations sexuelles avec une personne de 5 ans son aînée – 19 ans dans ce cas – sans que ce soit illégal aux yeux de la loi.
[2] Ammie N. Feijoo, Adolescent Sexual Health in Europe and the U.S. – Why the difference ?, Advocates for Youth, 2001.
[3] 14,1 ans chez les garçons et 14,5 ans chez les filles, selon L’étude sur les jeunes, la santé, le VIH et le Sida au Canada, Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), 2003.