Les réformes de Harper en matière de justice
À qui profite le crime ?
par Normand Forgues-Roy
À l’ouverture de la présente session parlementaire, le gouvernement de Stephen Harper a présenté une réforme musclée du système de justice. Sous des couverts de loi et d’ordre, les changements proposés pourraient en fait alimenter des super-prisons opérées par des compagnies privées. Si l’idée a de quoi faire sourciller, c’est pourtant la crainte de criminologues, de syndicats et de citoyens inquiets.
Selon le site officiel du Parti conservateur, les Libéraux ont laissé le crime et la violence gagner nos rues. Pour régler le problème, de nombreuses mesures devraient, selon le gouvernement, être mises en place : hausse de l’âge du consentement sexuel, abolition des libérations conditionnelles, imposition de sentences minimales. Cette réforme « musclée » aura pour effet, de l’aveu même du ministre fédéral de la Justice, Vic Toews, d’entraîner une hausse du besoin d’espace carcéral. La question est de savoir comment y répondre.
Confier les détenus au privé ?
Cette réforme, assez majeure, inquiète certains criminologues canadiens. Neil Boyd, professeur de criminologie à l’Université Simon-Fraser, y va de l’hypothèse suivante : « Ou les Conservateurs vont y consacrer énormément d’argent ou, plus vraisemblablement, ils vont opter pour un modèle privé de système correctionnel. »
À ce jour, aucune déclaration officielle ne laisse entrevoir une ouverture au privé. Par contre, les indices pointant vers une privatisation sont nombreux. M. Toews a déjà annoncé l’ouverture de nouveaux espaces carcéraux. Melissa Leclerc, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, à la question des prisons privées a répondu par un laconique « Nous n’avons jamais proposé cela. » Jamais proposé mais pas exclu pour autant... Dans le budget fédéral déposé le 2 mai 2006, un flou artistique sur les fonds accordés aux nouvelles prisons est entretenu. Quelle somme sera accordée et comment sera-t-elle dépensée ? La question reste en suspens tant que la réforme n’aura pas été adoptée aux Communes.
De plus, selon le National Union of Public and General Employees (NUPGE), on retrouve au gouvernement Harper deux membres influents de l’ex-gouvernement Harris, celui-là même qui avait autorisé la seule prison privée au Canada, notamment Jim Flaherty, le ministre des Finances qui vient de déposer son budget. Inquiétant.
Un glissement éthique
La fonction proclamée d’une prison est de retirer les criminels de la circulation pour les empêcher de nuire, avant de les réhabiliter pour les laisser sortir lorsqu’ils ne présentent plus une menace pour la société. La corporation, quant à elle, cherche à faire des profits sur les prisonniers et sur le personnel.
À quels efforts de réhabilitation peut-on s’attendre de la part d’une entreprise qui tire profit du nombre de détenus à sa charge ? Poser la question c’est y répondre. D’autant plus que s’engager dans cette voie pourrait créer un cercle vicieux. Radicaliser le système de justice pour garnir des prisons, qui ne chercheront plus à réhabiliter les prisonniers ; des prisonniers qui purgeront la totalité de leur peine, sans espoir de libération conditionnelle, dans un contexte violent. Ça donne quoi à la sortie ? Selon Bill McLaughlin, un gardien de prison à la retraite impliqué dans l’opposition aux prisons privées, la perspective est inquiétante : « Abolissez les programmes de libération conditionnelle, qui fonctionnent sur des efforts volontaires de réhabilitation et vous aurez des criminels qui, lorsqu’ils sortiront, seront dix fois plus dangereux… »
Si le crime peut, dans ces circonstances, s’avérer payant pour les compagnies privées, il en va tout autrement de la société canadienne, prisonniers compris. L’expérience de Penenta-guishene le montre bien. Alors que le gouvernement de l’Ontario a décidé de fermer la seule prison privée du pays, il faudra surveiller attentivement le dossier et espérer que le gouvernement fédéral suive cette voie.