Un monde à bout d’énergie
par Évariste Feurtey
La consommation mondiale d’énergie primaire a augmenté ces dix dernières années de 13 % pour s’établir à un niveau de 9,405 M de T.E.P. [1] Comme nous pouvons le constater à la figure 1 ci-dessous, les combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel et charbon) répondent à nos besoins énergétiques à hauteur de 85 %, le reste du gâteau étant partagé par le nucléaire et les énergies renouvelables (hydraulique compris). Cela démontre notre énorme dépendance à l’égard des producteurs de pétrole et de gaz naturel, qui devrait croître si rien n’est fait au niveau politique.
Par région géographique (fig. 2), il ressort rapidement que les pays industrialisés ou occidentaux s’accaparent à eux seuls quasiment la moitié de la consommation mondiale d’énergie. L’Asie est en plein essor et sa part est en constante croissance avec notamment l’émergence de deux grandes nations : la Chine et l’Inde. L’Amérique du Sud et l’Afrique représentent quant à elles seulement 8 % de la consommation mondiale.
Bilan des réserves mondiales en énergies fossiles
En 2001, les données sur l’évaluation des réserves mondiales d’énergies fossiles étaient les suivantes (voir figure 3) :
Le charbon y détient la plus grande part avec 65 % du total et une durée de vie, au rythme de consommation actuel, de plus de deux siècles. C’est lui qui possède la plus forte intensité carbonique parmi les énergies fossiles avec 95 kg de CO2 par GJ. Ses lieux de consommation sont principalement l’Asie à 40 % et les États-Unis à 32 %. Le charbon assure 38 % de la production d’électricité mondiale et constitue la matière première la plus exploitée en sidérurgie. Son rôle est indispensable à long terme, car cette source d’énergie est stable et abondante. Le charbon est surtout nécessaire pour les pays en développement là où il est produit. Mais son utilisation requiert principalement des améliorations techniques pour diminuer notamment la pollution engendrée par les GES émis.
Les réserves de pétrole représentent quant à elles 18 % des réserves mondiales d’énergies fossiles et permettent une marge d’exploitation estimée à 40 ans avec le rythme de consommation actuel. Ses émissions de carbone sont comprises entre 70 et 80 kg de CO2 par GJ, ce qui est plus faible que le charbon. Il est consommé à 31 % pour l’Amérique du Nord seulement, 21 % pour l’Asie et 17,8 % pour l’Europe.
La plupart des pays producteurs de pétrole sont regroupés dans l’O.P.E.P. qui représente 78 % de ces réserves. Le plus important est l’Arabie Saoudite avec le quart des réserves. Avec l’épuisement du pétrole prévu vers les années 2040-50, il faudra trouver d’ici 15 ans une énergie de remplacement, car au rythme actuel, les pays consommateurs seront de plus en plus dépendants des pays producteurs. Les technologies innovantes pour améliorer son extraction et sa récupération et la découverte de nouveaux gisements ne devraient retarder la fin annoncée de l’ère du pétrole que de quelques années. Sa rareté croissante entraîne la flambée de sa valeur et la cupidité des pétrolières et associés les entraîne à outrepasser les lois environnementales.
Le gaz naturel. Ses ressources mondiales sont de 17 % et ont une espérance d’exploitation de l’ordre de 60 ans. L’énergie gazière émet nettement moins de CO2 (57 kg par GJ) que le pétrole. C’est donc la source la moins polluante des énergies fossiles, tout en ayant un rendement énergétique quasiment identique au pétrole. C’est le type d’énergie la plus utilisée pour le chauffage et il sert dans l’industrie principalement comme combustible ou matière première. Le marché du gaz est en plein essor partout dans le monde. Sa consommation est importante dans les pays développés. Tout comme pour le pétrole, l’Europe et les États-Unis devront trouver à court terme des solutions pour pallier à leur dépendance croissante en approvisionnement en gaz. Toutefois les pays producteurs sont légèrement différents, les réserves étant majoritairement en Russie (35 %), au Moyen-Orient (36 %) et en Europe de l’Est.
Le nucléaire a pris son essor lors des grandes crises pétrolières de 1973 et de 1979. Face à la flambée des prix du pétrole et à l’accroissement massif de la demande énergétique, certains pays ont manifesté un désir ardent d’indépendance énergétique en recourant au nucléaire. Aujourd’hui, il y a quelques 441 réacteurs en fonctionnement dont 146 en Europe et 125 en Amérique du Nord. Cette source d’énergie assure 7 % de la consommation mondiale, soit l’équivalent de la part de l’hydroélectricité. Depuis la catastrophe de Tchernobyl, cette nucléarisation s’est quasiment totalement arrêtée partout dans les pays occidentaux. Les réserves d’uranium (évaluées à 60 ans) sont principalement réparties en Australie (28 %), au Kazakhstan (15 %) et au Canada (14 %) qui est le premier producteur d’uranium au monde.
Les perspectives de développement de cette énergie sont maintenant en Asie et en Europe de l’Est qui se partagent à elles seules les 33 réacteurs en construction. En fait, ce sont les pays ne possédant pas d’autres ressources énergétiques qui tentent de la développer (Corée du Sud, Japon, Taïwan, Chine).
La hantise du nucléaire semble toutefois s’effriter et sera probablement remise en question dans la prochaine décennie, qui coïncide avec la fin de la mise en service de plusieurs centrales nucléaires aux États-Unis, au Canada et ailleurs. Dernièrement, le gouvernement Bush a donné son aval au re-développement de l’énergie nucléaire, considérée maintenant comme « une composante majeure de la politique énergétique nationale ». Curieusement, le gouvernement Harper vient d’abonder dans le même sens.
Plusieurs pays jaugent aujourd’hui le nucléaire de manière différente selon que cette énergie revêt un caractère stratégique pour contrer leur dépendance énergétique. Il n’existe en fait aucun consensus social ou politique sur cette forme d’énergie. L’énergie nucléaire, bien que non émettrice de GES, ne peut être considérée comme une source d’énergie durable à cause notamment de ses nombreux problèmes sécuritaires (accidents, déchets radioactifs, prolifération nucléaire). C’est en 2012, à l’échéance du protocole de Kyoto, que se posera véritablement la question du rôle du nucléaire dans notre société future.
Les énergies renouvelables ne représentent que 8 % (1 % si on exclut l’hydroélectricité) de la demande d’énergie mondiale mais leur part devrait augmenter substantiellement d’ici 2015 en vue de respecter les accords de Kyoto.
Le Canada, grâce à son potentiel hydroélectrique, est le chef de file mondial dans l’utilisation de ces formes d’énergie propre. Environ 17 % de son approvisionnement en énergie primaire provient des énergies renouvelables, comparativement à 6 % pour les autres pays de l’OCDE. Le Canada a ainsi produit 13,3 % de l’hydroélectricité mondiale en 2002. Le potentiel hydroélectrique présente des perspectives intéressantes de développement, surtout en Amérique du Sud et en Asie.
L’énergie éolienne connaît depuis les deux dernières décennies la croissance la plus élevée, avec un taux de 20 à 30 % annuellement, et aucune perspective d’essoufflement n’apparaît à l’horizon. Au contraire. L’essor faramineux de la technologie éolienne a permis une augmentation de 500 % de sa production énergétique par rapport à 1997. Cette évolution est particulièrement spectaculaire en Europe, où on retrouve 70 % de la production mondiale d’énergie éolienne avec comme chefs de file : l’Allemagne (14,612 MW), l’Espagne (6,420 MW) et le Danemark (3,076 MW). On estime actuellement la puissance éolienne récupérable à l’échelle planétaire au double de ce que sera la demande mondiale en électricité prévue pour l’an 2020. Il y a de quoi être soufflé !
Une crise de l’énergie à l’horizon
Au rythme actuel de la croissance de la consommation énergétique mondiale d’une part et de la diminution des ressources disponibles d’autre part, la catastrophe « d’un monde en manque d’énergie » apparaît inéluctable. L’énergie va devenir inévitablement un enjeu crucial au cours du XX1e siècle. L’état de la balance énergétique de certains pays (voir figure 4) aura des impacts majeurs sur la géopolitique du monde. De vrais choix énergétiques pour l’avenir des générations s’imposent dès aujourd’hui. Et le constat est clair : seules les énergies renouvelables sont garantes de l’environnement et économiquement rentables à long terme pour l’approvisionnement en énergie. Il n’en reste pas moins que la meilleure énergie qui soit est celle que l’on ne consomme pas... Pourquoi tant d’entêtement ?
[1] M de T.E.P. : Million de tonnes équivalent pétrole. Toutes les données de cet article sont tirées de « L’énergie dans le monde, au Canada et au Québec », M. Benhaddadi, G. Olivier, Polytechnique de Montréal.