Dossier : L’énergie du désespoir

Tarifs d’Hydro-Québec

Du vent dans les compteurs

par Gariel Sainte-Marie

Gabriel Sainte-Marie

Augmenter nos tarifs d’électricité pour rembourser la dette. L’idée a été moussée par le groupe des Lucides et reprise par le gouvernement Charest. À les entendre, notre électricité est comme le gaz des Albertains, mais nous sommes trop nonos pour en tirer profit.

Dans La Presse du 18 avril dernier, le président d’Hydro-Québec Distribution, André Boulanger, affirmait : « Si tous les consommateurs payaient l’électricité au prix du marché, le Québec pourrait se payer trois CHUM et prolonger toutes les autoroutes dont il a besoin. »

Qu’on augmente ou pas nos tarifs ne changera rien aux prix de nos exportations d’électricité. Celles-ci sont déjà régulées par le « marché ». Lorsque nous exportons une faible quantité d’électricité, les prix sont élevés. Lorsque nous en exportons beaucoup, les prix diminuent. Par exemple, l’an dernier, nous avons exporté 15 térawattheures (TWh) au prix moyen de 9,5 sous le kilowattheure (¢/kWh), alors qu’en 2002, nous avons exporté 54 TWh au prix moyen de 6,4 ¢/kWh.

Il n’existe pas de marché de l’électricité au Québec. Hydro-Québec est un monopole. Lors de la nationalisation, nous avions décidé que l’électricité serait vendue juste assez cher pour couvrir les coûts de fonctionnement. La société d’État est devenue depuis une vache à lait. L’an dernier, notre société a réalisé un bénéfice net de plus de 2,25 milliards $. Mais on nous répète que les tarifs ne sont pas assez élevés.

Il est vrai que notre électricité est moins chère que chez nos voisins immédiats. Par exemple, l’Ontario a développé la filière nucléaire et fait actuellement face à de sérieux problèmes de rénovation de ses installations. C’est pourquoi le secteur résidentiel paie 11,2 ¢/ kWh à Toronto, contre 6,4 ¢/kWh à Montréal. C’est à New-York qu’on paie le plus cher l’électricité en Amérique du Nord : 20,4 ¢/kWh pour le secteur résidentiel. Aucun autre État n’a de tels tarifs. Il faut savoir que ces tarifs servent à financer directement les entreprises choisissant de ne pas se brancher au réseau et de produire elles-mêmes leur électricité, par exemple à partir de petits barrages.

Les tarifs du Québec sont semblables aux provinces et États ayant développé, comme nous, la filière hydraulique. À chaque année, Hydro-Québec publie une compilation des prix moyens d’électricité en Amérique du Nord. Peu importe le secteur étudié, le Québec se classe toujours derrière le Manitoba et à peu près nez à nez avec la Colombie-Britannique et l’Oregon. Le Québec se retrouve même derrière l’État de Washington, l’Alberta et la Nouvelle-Écosse dans certaines catégories.

Les 170 TWh que nous consommons chaque année permettent déjà à Hydro-Québec de dégager de juteux bénéfices. Nos tarifs d’électricité sont basés sur les coûts de fonctionnement de la société d’État et ne sont pas les plus faibles au Canada. Nous l’avons vu plus haut, le tarif de notre secteur résidentiel est identique au prix de nos exportations, lorsqu’on retient les années où nous exportons beaucoup d’électricité, comme en 2002. Augmenter nos tarifs, dans l’optique de réduire notre consommation pour exporter davantage, ne nous enrichira pas collectivement.

L’augmentation de nos tarifs est en fait une taxe déguisée. Les bénéfices accrus de la société d’État reviennent au gouvernement qui en dispose à sa guise. Le problème est qu’il s’agit d’une taxe totalement inéquitable. Il est normal et souhaitable de payer des taxes et impôts pour recevoir en échange des services universels et de qualité. Mais il n’y a pas de forme de taxation plus régressive que de taxer les services comme l’électricité. Actuellement, avec tout le battage médiatique, on est en train de faire passer cette augmentation pour normale, voire naturelle, aux yeux de la population.

Au Québec, 95 % de notre production d’électricité provient de la filière hydraulique à un coût moyen de 2 ¢/kWh. Il peut alors sembler intéressant d’accroître notre production pour l’exporter chez nos voisins. Malheureusement, comme les meilleurs sites sont déjà utilisés, les développements futurs présentent des coûts plus élevés. Par exemple, la nouvelle centrale de Toulnustuc produit son énergie à 3,6 ¢/ kWh. La centrale La Romaine, actuellement à l’étude, présente un coût de 7,9 ¢/kWh. Le potentiel hydraulique qui reste à développer au Québec représente 77 TWh à un coût moyen de plus de 10,6 ¢/kWh. C’est très élevé et ce n’est actuellement pas concurrentiel.

Ainsi, notre avantage comparatif que présente notre potentiel hydraulique semble déjà être exploité. La filière qui se développe le plus rapidement au Canada et aux États-Unis est celle des centrales au gaz. Il s’agit d’un choix moins polluant que les centrales au charbon ou encore les centrales nucléaires. Mais cette filière n’est pas intéressante pour nous. D’ailleurs, nous nous sommes clairement prononcés contre le développement de la centrale au gaz du Suroît. Malheureusement, au même moment, a été conclue l’implantation d’une autre centrale au gaz à Bécancour.

Officiellement, le Département états-unien de l’énergie affirme que les coûts de cette filière devraient se maintenir autour de 6 ¢/kWh, et ce, au moins jusqu’en 2015. Or c’est complètement faux. Le prix du gaz ne cesse d’augmenter et l’automne dernier, le coût de cette filière était déjà rendu à 9,4 ¢/kWh. Les centrales au gaz n’ont pas de place au Québec. De plus, la quasi totalité du coût de fonctionnement des centrales va au carburant et ne développe aucune expertise québécoise. Si l’option thermique revient sans cesse sur le plancher, c’est que le lobby du gaz est omniprésent au Québec. Plusieurs organismes et départements universitaires sont grassement financées par ce lobby et une grande partie de la direction d’Hydro-Québec, incluant son pdg Thierry Vandal, provient de Gaz Métropolitain.

Actuellement, il semble y avoir consensus pour ne pas développer davantage la filière nucléaire au Québec. Rénover la centrale Gentilly repousse le problème de son démantèlement. Pour le développement futur, il reste ici à évaluer les énergies renouvelables alternatives et les économies d’énergie. Le kilowattheure économisé est très payant : nous n’avons pas à le débourser, et nous pouvons l’exporter.

Il y a présentement un fort engouement pour l’éolien dans le monde et le Québec n’y échappe pas. Les autres filières, que ce soit le solaire ou la géothermie, ne sont pas du tout compétitives. Il faut quand même les garder à l’œil puisque le développement technologique est très rapide. Une nouvelle innovation révolutionnera tôt ou tard la production de l’électricité. C’est ce qui s’est passé avec la filière éolienne. Il y a une dizaine d’années, l’énergie produite par le vent était très chère. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La filière est de plus en plus acceptée dans les vieux pays, où le coût de l’électricité est plus élevé qu’au Québec.

Au Québec, nous avons de plus forts vents qu’en Europe, ce qui fait baisser le coût de la filière. En fait, ce coût commence à être compétitif. Hydro-Québec a signé des contrats avec une firme québécoise où la société d’État achète l’électricité produite par des parcs éoliens situés à Murdochville au prix de 6,5 ¢/kWh. C’est à la suite de ce contrat qu’on a décidé de tenir un premier appel d’offres de 1 000 MW et un deuxième, actuellement en cours, de 2 000 MW.

Malheureusement, les résultats du premier appel d’offres ont été très décevants. Ce sont des entreprises privées albertaine et torontoise qui l’ont remporté, à un coût moyen de 8,35 ¢/kWh. Dans une étude que j’ai réalisée l’an dernier, je démontrais comment le dévelop-pement de la filière s’est mal déroulé et qu’on aurait pu obtenir un coût inférieur à 5 ¢/kWh, notamment en laissant la filière à Hydro-Québec. Il s’agit, pour l’instant, de l’option la plus prometteuse pour un développement additionnel de notre secteur énergétique, en vue d’accroître nos exportations.

Thèmes de recherche Economie et finances publiques, Energie
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