Buenaventura Durruti

No 015 - été 2006

Espagne 1936-1939

Buenaventura Durruti

par Christian Brouillard

Christian Brouillard

La Révolution espagnole de 1936, comme tous les processus de changements sociaux dans l’histoire humaine, a légué à la postérité bien des enseignements et aussi pas mal de légendes. Parmi les figures mythiques ressortant le plus de cette période, on peut souligner celle de Buenaventura Durruti.

Durruti naquit à León en Espagne en 1896, où il commença à travailler à l’âge de 14 ans comme cheminot. En 1917, l’Union general de trabajadores (Union générale des travailleurs, UGT) lance une grève dans laquelle Durruti s’implique d’une manière active. Le gouvernement espagnol fit appel à l’armée pour faire cesser cette grève dans un bain de sang. Durruti s’enfuit alors en France.

Durant son exil jusqu’en 1920, Durruti travaille à Paris comme mécanicien. Il y rencontrera des militants anarchistes comme Sébastien Faure, Louis Lecoin et Émile Cottin. Puis il fut persuadé d’aller à Barcelone pour tenter de participer à l’organisation des travailleur et travailleuses de la cité catalane.

À Saragosse, avec García Oliver, Francisco Ascaso et d’autres anarchistes, il participa à la création de l’organisation Los Solidarios (Les Solidaires). Des membres de ce groupe essayèrent sans succès de tuer le roi d’Espagne, Alphonse XIII. En 1923, le groupe fut impliqué dans le meurtre du cardinal de Saragosse, Juan Soldevilla y Romero, attentat perpétré en représailles à l’assassinat du militant Salvador Seguí. Durruti et Oliver, face à la répression, partirent pour l’Argentine.

À son retour à Barcelone, Durruti devint un militant influent à l’intérieur de deux des plus grandes organisations anarchistes d’Espagne à cette époque : la Confederación nacional del trabajo (Confédération nationale du travail, CNT) et la Federación anarquista ibérica (Fédération anarchiste ibérique, FAI). C’est dans ce cadre qu’il participa à l’organisation de la riposte ouvrière au coup d’État fasciste du 19 juillet 1936, au cours de laquelle les milices de la CNT, à Barcelone, s’assurèrent de la victoire contre les militaires factieux, une victoire que le gouvernement légal eut été bien en peine d’assurer. À ce moment, le pouvoir réel, dans les zones de l’Espagne qui avaient échappé à la griffe des militaires, était aux mains du peuple en armes. Moment crucial où tout était possible, car dans la foulée de sa victoire contre l’armée, le prolétariat industriel et agricole commençait à s’emparer des terres et des lieux de travail, esquissant ainsi une nouvelle organisation de la production. Les dirigeants de la CNT, dont les membres étaient à la fine pointe de ce mouvement, vont cependant reculer craignant, selon eux, d’instaurer une « dictature anarchiste » (sic !). On parlera plutôt de constituer un front des forces antifascistes, reportant aux calendes grecques la révolution sociale. Ce recul permettra aux forces politiques traditionnelles de se ressaisir, amorçant ainsi une véritable contre-révolution dans le camp républicain.

Durruti, pour sa part, avait quitté Barcelone, le 24 juillet 1936, avec 3 000 militants et militantes anarchistes (la Colonne Durruti), dont les combats vont permettre de libérer la province espagnole d’Aragon, ouvrant ainsi un espace où va se développer, pour un temps, une importante expérience autogestionnaire, celle des collectivités.

L’offensive des militaires contre Madrid, en octobre-novembre 1936, amène la Colonne Durruti à intervenir dans les secteurs les plus menacés de la capitale. C’est là, le 19 novembre, que Durruti tombe au combat dans des circonstances assez mystérieuses, meurtre ou accident. Quoi qu’il en soit, la suite n’est que trop connue : liquidation progressive des conquêtes révolutionnaires, dont le démantèlement des collectivités, l’insurrection désespérée de mai 1937 à Barcelone, la mainmise stalinienne et les polices secrètes et, enfin, le triomphe des militaires en 1939. Rien pourtant, au départ, n’était joué. Le rôle d’un personnage, désintéressé et sincère comme Durruti, a beaucoup contribué à ce formidable élan libertaire qui embrasa l’Espagne. Son seul tort (ou naïveté) fut de s’accommoder, au nom de l’antifascisme, des mécanismes d’un pouvoir en place qui ne pouvaient que se retourner contre lui.

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