Marjolaine Péloquin
En prison pour la cause des femmes : la conquête du banc des jurés
lu par Elsa Beaulieu
Marjolaine Péloquin, En prison pour la cause des femmes : la conquête du banc des jurés, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2007, 307 pages.
Le livre En prison pour la cause des femmes, de Marjolaine Péloquin, est un ouvrage passionnant, vivant, vibrant. Et surtout, un ouvrage nécessaire, un incontournable. Pourquoi ? Pour au moins deux raisons. Premièrement, par ce que tant d’idées reçues, de mythes, d’images faussées (parfois embellies mais le plus souvent obscurcies par le backlash antiféministe) circulent sur le féminisme radical du début des années 1970, que ce récit fonctionne comme un magistral rétablissement des faits. Il nous donne à comprendre et à ressentir ce qu’étaient véritablement ce féminisme et le rôle historique qu’il a joué, en relation étroite avec son contexte et avec l’histoire des militantes qui l’ont porté. Deuxièmement, par ce que la qualité du récit ainsi que les analyses critiques et rétrospectives sur cette période de l’histoire du féminisme au Québec nous donnent des outils précieux pour mettre en perspective l’état actuel de la militance féministe radicale au Québec, en relation avec son histoire et avec les transformations de la société québécoise.
Au début de 1971, les femmes n’ont toujours pas le droit d’être jurés au Québec. Pour dénoncer l’illégitimité de ce système judiciaire sexiste, Lise Balcer refuse de témoigner au procès de Paul Rose – membre du FLQ – et est condamnée pour outrage au tribunal. La cellule action-choc du Front de libération des femmes du Québc (FLF), qui guettait le moment de réaliser une action d’éclat pour provoquer des prises de conscience et mettre le féminisme radical sur la carte, se saisit de l’occasion. Le 1er mars 1971, alors que Lise Balcer comparaît pour recevoir sa sentence, sept militantes du FLF prennent d’assaut et occupent le banc des jurés en scandant « Discrimination ! » et « La justice c’est d’la marde ! ». Elles sont immédiatement condamnées à un ou deux mois de prison pour outrage au tribunal. La loi des jurés sera modifiée le 18 juin 1971.
La première partie du livre raconte la prise d’assaut du banc des jurés par la cellule action-choc du FLF, ainsi que les mois l’ayant précédée et suivi, selon le point de vue de ses actrices. Avec les mots qu’elles employaient à l’époque, des extraits de lettres et de journaux intimes, des reproductions de documents d’archives, des photos, des mises en contexte. La narration est à la fois détaillée, rigoureuse et touchante. Elle nous fait comprendre et ressentir, quasiment comme si nous y étions, ce qu’était le FLF, les analyses et objectifs politiques de ses militantes, le déroulement précis de l’action et de leur emprisonnement subséquent, ainsi que l’impact que ces événements ont eu sur elles et sur leurs proches.
La deuxième partie du livre nous offre tout à la fois une évaluation critique de l’impact de l’action du banc des jurés sur la société québécoise, l’histoire des trajectoires de vie subséquentes des sept militantes ayant participé à l’action, les derniers mois de débats et d’actions du FLF qui se dissoudra à l’automne 1971. Péloquin fait la liste des idées fausses, des erreurs et omissions des ouvrages historiques sur l’action du banc des jurés et sur le FLF, et rétablit les faits avec précision.
La grande force de ce livre est d’ancrer l’analyse critique et politique du FLF et de l’action du banc des jurés dans les perceptions et les histoires de vie de celles qui en ont été les actrices. Il constitue en ce sens un exemple remarquablement réussi d’écriture féministe. Une lecture essentielle pour toutes celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire, au féminisme, aux mouvements sociaux et aux stratégies et tactiques de contestation politique et de transformation de la société.