Éditorial No 23
Harper balaie l’environnement sous le tapis
Si la Conférence de Bali, qui s’est tenue du 3 au 15 décembre 2007 [1], s’est terminée sur un quasi constat d’échec, accouchant d’un plan d’action très limité, c’est en grande partie en raison du sale boulot effectué par le Canada. Celui-ci s’est employé à saboter les efforts des pays pour arriver à un accord comprenant des objectifs contraignants, défendant d’abord et avant tout les intérêts des compagnies pétrolières.
C’est en effet en Alberta que se trouve le deuxième gisement en importance d’hydrocarbure exploitable au monde (après ceux d’Arabie saoudite), avec 15 % des ressources mondiales de pétrole. L’exploitation des sables bitumineux est la principale source d’émission de gaz à effet de serre (GES) au Canada et la principale raison de leur augmentation. On estime à 125 milliards de dollars le montant que les rois du pétrole nord-américains investiront dans ce secteur au cours de la prochaine décennie ; ce qui pourrait représenter 2,4 milliards $ de revenus pour le gouvernement de l’Alberta et 3,5 milliards pour celui du Canada [2]. Ajoutons à cela le fait que la base électorale la plus solide des conservateurs se trouve en Alberta, et les raisons de l’opposition du gouvernement Harper au protocole de Kyoto deviennent soudainement limpides…
L’exploitation des sables bitumineux est cinq fois plus énergivore que l’extraction conventionnelle et génère trois fois plus de GES. Ces sables étant composés d’un mélange de sable, d’argile, d’eau et, dans une proportion de 10 à 12 %, de goudron bitumineux, il faut en quelque sorte les « laver » avec de l’eau bouillante, procédé nécessitant en moyenne trois barils d’eau pour l’extraction d’un baril de pétrole – un gaspillage extravagant de 140 millions de m3 d’eau par année. Les nouveaux développements prévus hausseront cette consommation d’au moins 50 %. Les eaux usées sont pour le moment versées dans d’immenses étangs où elles décantent… en attendant de ruisseler jusque dans les nappes phréatiques. Il faut, par ailleurs, ajouter à ce désastre l’effet durable de la déforestation, de l’excavation du sol en profondeur, de l’installation de méga-usines de transformation et de la construction d’infrastructures de transport (routes, gazoducs, oléoducs).
Les Conservateurs sont tellement englués dans leur immobilisme – et c’est là le plus inquiétant – que même les prétendues « solutions » marchandes confiant aux arbitrages des marchés boursiers le soin de réduire les émissions de GES prennent alors l’apparence d’audacieux remèdes. Les Bourses du carbone prévues par le protocole de Kyoto – avec leurs « droits d’émission » de GES que s’arracheront, dans des rapports de force très inégaux, les pays du Sud et les multinationales du Nord – ne constituent toutefois en rien un « plan de lutte » [3]. Et pourtant, ces Bourses sont rejetées d’emblée par le gouvernement Harper, qui les juge « trop radicales ».
L’environnement – et, en particulier, les changements climatiques – sont pourtant devenus des enjeux électoraux de taille : en novembre 2007, le gouvernement australien de John Howard est tombé en bonne partie en raison de sa position conservatrice sur le sujet (de même qu’en raison de sa position sur l’Irak, une donnée qu’il faut mettre en parallèle avec la guerre d’Afghanistan). Lors des prochaines élections fédérales, tant les Libéraux, les Néodémocrates que le Bloc québécois vont tenter de se démarquer du Parti conservateur sur cette question. Pourtant, ni les uns, ni les autres ne proposent l’arrêt pur et simple de l’exploitation des sables bitumineux.
Or, c’est la seule position conséquente qui existe. Car les actions ciblées visant à encadrer l’exploitation des sables bitumineux – comme le rapport conjoint sur l’exploitation des sables bitumineux effectué par le Fonds mondial de la nature (WWF) et l’Institut Pembina – ne sont que de louables tentatives pour maîtriser la bête. Et les groupes écologistes s’adressant aux tribunaux pour contester des autorisations accordées par Ottawa ne font que demander une « réévaluation » du projet Kearl – soutenu par l’Imperial Oil – qui aura des impacts sur 200 km2 de forêt boréale.
Ces actions ont une portée limitée et ne font que retarder l’inévitable échéance : il faudra bien un jour fermer ces exploitations, nettoyer les dégâts et poursuivre en justice, pour crimes économiques, sociaux et écologiques, les responsables de ce désastre, tant dans l’entreprise qu’au gouvernement. Exigeons l’arrêt de l’exploitation des sables bitumineux.
[1] Il s’agissait en fait de la 13e Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques et de la 3e Réunion des parties au protocole de Kyoto, tenues conjointement.
[2] Voir « La tête dans le sable bitumineux », Évariste Feurtey, AB ! # 17 (décembre 2006 / janvier 2007).
[3] Voir « La Bourse de la pollution. L’effet de “serres” s’accentue », Antoine Casgrain, AB ! # 10 (été 2005).