Briser le monopole de l’UPA

No 023 - février / mars 2008

Syndicalisme agricole

Briser le monopole de l’UPA

par Perry Bisson

Perry Bisson

Le monopole syndical exercé par l’Union des producteurs agricoles (UPA) prend racine dans la Loi sur les producteurs agricoles [1]. Cette loi autorise la reconnaissance d’une seule association syndicale dans le domaine de l’agriculture au Québec. Cette façon de faire n’existe nulle part ailleurs sur la planète

La liberté d’association a pour but de permettre aux différentes tendances ou conceptions d’avoir voix au chapitre. Sans ce rapport de force, la liberté de parole et la liberté d’association prévues par la Charte des droits et libertés perdent tout leur sens. La liberté d’association doit être une valeur sociale reconnue dans le monde agricole au Québec comme dans toutes les autres sphères d’activités. C’est une question de principe dont le but est d’assurer que différentes pistes de solutions à la crise actuelle vécue par les agriculteurs et les agricultrices puissent être entendues.

Une représentation limitée

Or, il y a déjà plusieurs années qu’un seul discours, celui du syndicat unique de l’UPA, est considéré et exploré. Il est maintenant devenu évident que les pistes de solutions proposées par l’UPA depuis plus de 10 ans ne réduisent en rien les effets de la crise actuelle, tant sur la qualité de vie des agriculteurs et de leur famille que sur la rentabilité des fermes et sur la diminution de leur nombre. Il existe d’autres façons de faire pour organiser le syndicalisme agricole. Afin de permettre à d’autres solutions d’être discutées, soutenues et appliquées, le gouvernement devrait permettre à d’autres accréditations syndicales d’exister en modifiant la Loi sur les producteurs agricoles.

De plus, en appliquant la définition d’agriculteur prévue par cette loi, l’actuel syndicat unique ne peut représenter l’ensemble du monde agricole, alors que ça devrait être son obligation en tant que monopole. Des groupes sont donc sans représentation, comme les petites fermes, les agriculteurs et agricultrices qui pensent autrement ou qui croient à un modèle d’agriculture autre que celui des mégas fermes. Tous devraient dorénavant être reconnus et avoir le droit d’être représentés par un syndicat de leur choix. Ailleurs dans le monde, que ce soit dans le reste du Canada, aux États-Unis, au Mexique, dans l’Union européenne, en Afrique de l’Ouest et en Amérique du Sud, les agriculteurs et les agricultrices peuvent choisir librement le syndicat qui les représentera.

Enfin, la définition même de la ferme québécoise méprise la fonction première de l’agriculture, soit de nourrir les familles de ceux et celles qui produisent. La loi actuelle ne reconnaît que les fermes commerciales, avec l’exigence de commercialiser pour au moins 5 000 $ de produits par année. La valeur consommée par la famille ou ses partenaires, le cas échéant, n’est pas prise en considération. Il y a là matière à réflexion. La définition d’agriculteur devrait être autre chose qu’une colonne de chiffres dans les livres comptables d’une compagnie.

Vers un monde syndical comme dans les autres sphères d’activités

Les changements au système actuel pourraient s’inspirer de la Loi sur l’industrie du secteur de la construction qui prévoit, exceptionnellement, que les travailleurs et travailleuses doivent être membres de l’un des syndicats accrédités. Cette loi prévoit aussi un vote officiel à tous les trois ans où chaque travailleur et travailleuse peut refaire le choix de son syndicat parmi les associations accréditées. Dans le monde agricole, aucun mécanisme ne permet de changer de syndicat, comme cela est prévu à l’expiration des conventions collectives dans les autres sphères d’activités. Le droit à la liberté d’association devrait permettre de s’associer à l’intérieur de différents syndicats, selon les valeurs et les façons de faire que chacun croit justes.

Par conséquent, le processus de sélection d’un syndicat par les travailleurs et travailleuses doit pouvoir se dérouler dans un contexte neutre. Lorsqu’une association veut obtenir une accréditation, c’est-à-dire représenter un groupe de travailleurs et travailleuses salariéEs, des employéEs du ministère du Travail, des agentEs d’accréditation sont mandatéEs pour voir au bon déroulement du processus. Cette façon de faire assure une neutralité à la démarche dans le but d’obtenir une accréditation. En agriculture, c’est une régie qui doit définir le processus. Elle doit aussi voir à le faire respecter et, finalement, en analyser les résultats. Et elle n’en fait rien. Nous sommes loin de la neutralité engendrée par les manières de faire dans les autres secteurs d’activités au Québec, car plusieurs des employées de la Régie proviennent du syndicat unique.

Plus de 35 articles organisent et garantissent un processus démocratique dans le Code du travail, alors que seulement quelques paragraphes y font vaguement allusion dans la Loi sur les producteurs agricoles. À titre d’exemple, dans la Loi sur les producteurs agricoles, c’est la Régie qui est maître d’œuvre de la représentation de la majorité prévue. Aucun mécanisme n’est prévu pour garantir l’application de la majorité absolue, ce qui est pourtant le cas dans le Code du travail.

N’importe quoi, sauf du syndicalisme

De plus en plus d’agriculteurs et d’agricultrices se sentent mal représentées par le syndicat unique, car avec les années, ce monopole a engendré un pouvoir et un contrôle abusif de l’UPA et de ses dirigeant sur les politiques agricoles, sur la mise en marché de la production agricole et sur l’ensemble du monde rural. À travers le ministère de l’Agriculture, la Financière agricole, la Commission de protection du territoire agricole, la Régie des marchés, les coopératives agricoles, les plans conjoints de mise en marché, les instituts de recherche agricole obligatoires dans chaque MRC et les prélevés obligatoires, l’UPA se comporte davantage comme un patron qui veut faire performer son entreprise ou un gouvernement qui veut assurer son pouvoir plutôt que comme un véritable syndicat dévoué à la défense de tous ses membres, surtout les plus menacés.

Désormais, il s’agit non seulement de partenariat ou de cogestion du syndicat unique avec le gouvernement et l’industrie agricole, mais de collusion, de complicité, sinon d’usurpation du pouvoir public. C’est au ministère de l’Agriculture (MAPAQ), non pas à l’UPA, de représenter le gouvernement et de voir aux intérêts des citoyenNEs. Beaucoup de citoyenNEs, de producteurs et productrices jugent excessif et inacceptable ce pouvoir que détient maintenant l’UPA sur l’État lui-même. Le Québec a choisi des valeurs sociales pour organiser le syndicalisme sur son territoire. Le syndicalisme québécois en agriculture ne devrait pas être différent.

Briser le monopole syndical

En somme, il faut briser le monopole syndical en agriculture, car comme dans tous les monopoles connus, ses intérêts corporatifs passent avant tous les autres intérêts, ceux de la population comme ceux de ses propres membres. Le monopole syndical en place dans l’agriculture québécoise ne fait pas exception. L’UPA n’a jamais cessé de se renforcer, de se protéger et de s’enrichir au détriment de ses membres, au prix de leur appauvrissement, voire de leur disparition. Nous l’avons dit : aucun État démocratique dans le monde ne favorise un tel monopole. Il faut que ça change.


[1Jean-Pierre Kesteman, Guy Boisclair, Jocelyn Morneau et Jean-Marc Kirouac, Histoire du syndicalisme agricole au Québec. UCC-UPA 1924-2004, Montréal, Éditions du Boréal, 2004.

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