Souveraineté alimentaire à la sauce PQ

No 051 - oct. / nov. 2013

Alimentation

Souveraineté alimentaire à la sauce PQ

Pierre-Mathieu Le Bel

La nouvelle politique québécoise de souveraineté alimentaire mise en place par le gouvernement Marois au mois de mai était censée incarner une réponse au rapport de la commission Pronovost déposé cinq ans plus tôt. Quelques mois seulement après l’entrée en scène d’un gouvernement péquiste à Québec, le délice avec lequel la première ministre et son ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, François Gendron, faisaient usage du label « souveraineté alimentaire » laissait voir leur plaisir de découvrir ce qui n’est rien de plus qu’une coïncidence linguistique faisant le pont entre agriculture et lexique politique québécois.

Gageons que la Via Campesina n’avait pas en tête cette terminologie locale lorsqu’elle l’a proposée en 1996 à Rome, dans le cadre du Sommet mondial de l’alimentation de la FAO. La souveraineté alimentaire se définit d’abord par opposition au concept de sécurité alimentaire qui a, depuis les années 1990, du succès auprès d’instances œuvrant en développement international. La sécurité alimentaire existe quand toutes les personnes en tout temps ne souffrent pas de la faim. Elle implique quatre aspects :

• la disponibilité alimentaire, soit les stocks de nourriture présents dans un pays ou une région ;

• l’accès à la nourriture, c’est-à-dire la capacité d’un ménage de se procurer un niveau adéquat de nourriture régulièrement ;

• la stabilité alimentaire, calculée selon l’apport régu­lier de nourritures diverses ;

• l’utilisation alimentaire, une diète adéquate, une eau propre, de bonnes conditions d’hygiène, etc.

Cette approche est limitée, car elle ne prend en compte que la distribution ou la redistribution de la nourriture et minimise le rôle des systèmes de production. Ce qu’on doit constater ici, c’est l’absen­ce de référence aux systèmes politiques, écono­miques, sociaux et culturels mondiaux.

D’un concept avec des dents…

Cette lacune, le concept de souveraineté alimentaire de la Via Campesina visait à la pallier. Elle propose en effet d’abord un changement dans les systèmes de production, de distribution et de consommation en vue de créer une justice alimentaire et un contrôle communautaire. Dès le départ donc, le concept a quelque chose de révolutionnaire. Il soutient des réformes radicales. Il s’appuie essentiellement sur l’autosuffisance, la diversité de production, l’absence de multinationales dans le contrôle de la production, la lutte contre la malbouffe, la promotion du monde rural, les réformes agraires, une production contrôlée par de petits fermiers, des coopératives ou des entreprises étatiques, un refus des OGM et de l’usage d’intrants chimiques, enfin, la valorisation des savoirs traditionnels en agriculture. La souveraineté alimentaire signifie en outre que les produits agricoles peuvent être exportés, mais uniquement après satis­faction des besoins locaux (essentielle dans le contexte d’émergence du concept dans les pays dits « en développement »). Cela ne signifie pas seulement protéger l’agriculture locale, mais également revitaliser les processus démocratiques, culturels et écologiques.

… à une politique du statu quo

Qu’en est-il de la politique de souveraineté alimentaire du Québec, politique qui fait d’ailleurs explicitement référence à Via Campesina ? Soulignons d’abord qu’elle vise en effet un raffermissement de l’autosuffisance en prônant une politique d’achats locaux. Cela est particulièrement visible dans le premier de ses quatre axes, « L’identité des aliments du Québec », qui mise sur une plus grande promotion de ceux-ci afin d’accroître leur visibilité. L’objectif est noble. C’est cependant dans la façon dont les trois axes suivants se déclinent – l’occupation dynamique du territoire, la valorisation du potentiel économique du secteur, le développement durable – qu’on trouve plus amples matières à critiquer, a fortiori si l’on se réclame de la souveraineté alimentaire.

On y déclare à plusieurs reprises vouloir « maintenir, voire encourager une grande diversité d’entreprises agricoles ». Une centrale syndicale unique ne pousserait-elle pas plutôt dans le sens de l’homogénéisation ? Pas de remise en question de ce mono­pole syndical de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Pas de questionnement non plus sur l’importance de préserver le patrimoine biologique local. Deux éléments qui sont essentiels si l’on souhaite être fidèle à l’esprit de la souveraineté alimentaire qui mise sur la diversité et l’adaptation des pratiques aux cultures locales.

En matière d’éducation, on décèle bien l’intention de faire davantage de publicité sur les labels « Aliment du Québec » et « Aliment préparé au Québec ». On retrouve une fois le mot « gaspillage », mais s’il constitue véritablement un « enjeu », on comprend mal qu’on ne souligne pas les liens entre mise en marché, portions et habitudes de vie... «  Faire la promotion des saines habitudes de vie » est certainement louable, mais on peut douter de l’impact de campagnes de promotion gouvernementales face aux géants de l’alimentation qui n’ont pas les mêmes scrupules au sujet de notre santé.

De réforme agraire on ne parle pas non plus. Le terme fera sans doute plus penser aux aspirations du « Sud » qu’à la réalité historique québécoise. N’empêche, les voix sont multiples à décrier le monopole de l’UPA et les conséquences importantes du modèle de la gestion de l’offre sur les individus qui aspirent à un métier agricole. Pas question non plus de la transformation en programme de soutien universel de l’assurance stabilisation des revenus agricoles, pour l’instant le privilège de quelques acteurs. Peut-on s’attendre à ce que la création de la Table de concertation des partenaires du bioalimentaire québécois vienne brasser la cage alors que les plus gros joueurs seront justement ceux qui ont le moins intérêt à ce que les choses changent et ceux qui ont le plus de pouvoir d’expression ?

En outre, même si l’appel à ajuster la Loi sur l’acquisition de terres agricoles par des non-résidants répond à des préoccupations réelles, que pourrait-on dire des fonds souverains québécois et canadiens qui achètent des terres à l’étranger, fragilisant du coup la souveraineté alimentaire des autres ? Une réflexion sur la souveraineté alimentaire peut-elle faire l’économie d’un arrêt sur la géopolitique de l’agriculture ? Le désir du consommateur le plus souvent porté sur les denrées les moins chères n’a-t-il pas des conséquences outre-frontières ? Notre souveraineté alimentaire se termine-t-elle où commence celle des autres ?

Plus choquant est l’absence presque totale des organismes génétiquement modifiés dans la politique du PQ. On en traite en termes de « possibilités ». Jamais n’est-il fait mention des problèmes réels remarqués en matière d’érosion accentuée, de mésadaptation aux écosystèmes naturels, de privatisation du cheptel génétique, de l’usage des pesticides qui y est associé, tout comme des coûts supplémentaires pour les petits agriculteurs et de la disparition des savoirs ancestraux induits par l’usage de ces OGM. Protéger les savoirs traditionnels locaux en matière d’agriculture, ce serait notamment protéger notre patrimoine génétique agricole ; s’assurer que ni le vivant ni les semences ne soient privatisés, ni non plus que les pratiques ancestrales ne soient brevetées.

Poudre aux yeux

De l’usage du vocable « développement durable » on ne se plaindra pas, car on a l’habitude que le terme soit galvaudé. On restera néanmoins perplexe devant l’absence de vision holistique qui sache mettre à jour l’intrication des pratiques agricoles aux autres secteurs d’activités autrement qu’en termes économiques, et surtout qui souligne comment les seconds influent sur les premiers. La production, la distribution et la consommation de denrées alimentaires ont bien un coût, mais celui-ci n’apparaît pas dans les colonnes de chiffres des comptables. Il se calcule en matières organiques perdues au fil des rivières eutrophisées [1], en diversité génétique abandonnée nous rendant plus vulnérables aux accidents naturels ou anthropiques, en perte du droit de cultiver des variétés données (en France, des variétés de tomates sont déjà illégales !). Sans réflexion sur les contradictions entre durabilité et marché, en appeler au développement durable relève du coup de marketing.

En déposant sa politique de souveraineté alimentaire, le gouvernement s’est approprié un concept dont il a détourné le sens pour en faire un document se voulant consensuel, tellement que les risques de modifier sensiblement le secteur agro­alimentaire sont pour ainsi dire nuls. Du concept, on a retenu l’achat local et la diversité sans se questionner sur les contradictions entre ce qu’exige la diversité (écologique, sociale, culturelle) et les tendances homogénéisatrices du marché, de même que la gouverne agricole en un syndicat unique. Au final, il s’agit d’un document traitant de sécurité alimentaire plus classique.

La politique de souveraineté alimentaire se voudrait «  un élément à part entière d’une vision économique complète », et ce, dans « un contexte de marché ouvert, [où] il est avantageux pour le Québec de viser une balance commerciale positive  ». On souhaite créer une « filière compétitive  », développer des avantages comparatifs, s’approprier une niche. C’est joli, dans la logique qu’on enseignera volontiers, imagine-t-on, aux HEC, mais ce n’est pas de la souveraineté alimentaire. Cette dernière refuse justement de considérer le produit alimentaire comme une marchandise comme les autres, parce que, comme l’eau et l’air, l’aliment sain est une nécessité, un droit, en fait. En ce sens, la souveraineté alimentaire québécoise ne serait pas uniquement la souveraineté du Québec en matière de production alimentaire, mais bien plutôt la souveraineté de l’aliment par rapport au marché [2].


[1L’eutrophisation étant l’accumulation de débris organiques dans un plan ou un cours d’eau, provoquant ainsi sa pollution par désoxygénation.

[2Merci à Stéphane Bernard, professeur au département de géographie de l’UQAM.

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