Pourquoi et pour qui ?

No 051 - oct. / nov. 2013

Barrage à Val-Jalbert

Pourquoi et pour qui ?

Environnement

Collectif d’auteur.e.s membres de la Coalition pour la sauvegarde de la Ouiatchouan

En 1994, le gouvernement libéral a l’étrange idée de construire un barrage hydroélectrique en amont de la chute Ouiatchouan, à Val-Jalbert au Lac-Saint-Jean. Une forte opposition du milieu fait alors abandonner le projet privé. Le gouvernement Charest remet le projet sur la table en 2010. En février dernier, le gouvernement Marois annule le programme de petites centrales, à l’exclusion de Val-Jalbert.

Le décret pour ce projet a été émis le 5 décembre 2012 dans un contexte informatif erroné, alors que les estimations des coûts du projet dataient de 2009 et que des contrats sans appel d’offres étaient déjà en cours d’étude par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (MAMROT). En outre, le ministre de l’Environnement nouvellement nommé a dû composer avec l’appui donné par la première ministre elle-même au Sommet des Premières Nations, alors qu’elle assurait l’intérim du ministère de l’Environnement à la suite de la démis­sion forcée du ministre Breton.

Des faits troublants

De nombreux faits et impacts, tant sociaux, environnementaux, patrimoniaux, touristiques qu’économiques, ont stimulé une large mobilisation contre le projet. Ainsi, l’étude d’impact environnemental, réalisée par le consortium BPR- DESSAU-NUTSHIMIT, a été bâclée, négligeant totalement les impacts négatifs sur les poissons habitant le milieu.

Par ailleurs, le débit minimal réservé de la rivière Ouiatchouan pour ce projet – à peine 0,3 m3 par seconde, soit 60 fois moins que le débit moyen annuel – ne respecte même pas la Politique des débits réservés en vigueur pour permettre la libre circulation du poisson, ce qui signifie qu’un mince filet d’eau remplacera la chute la plupart du temps sur trois saisons ; mais aussi l’été, en matinée et en fin de soirée, avec la présence de visiteurs en hébergement sur le site. Pendant les heures d’ouverture du site, c’est un débit coupé des deux tiers qui surprendra les touristes, soit 7 m3 par seconde.

Les critères obligatoires pour l’octroi des forces hydrauliques du domaine de l’État ne sont pas respectés non plus. 1) L’acceptabilité sociale est nettement insuffisante, comme le démontre un sondage Léger Marketing (61 % des répondant·e·s demandent l’arrêt complet ou temporaire des travaux. 2) La consultation de la communauté ilnue est jugée bidon, car seul le Conseil des Montagnais est consulté et il est un promoteur dans le projet. 3) L’éthique et la transparence sont chancelantes, alors que des dossiers sur le projet (plaintes et contrats sans appel d’offres) faisaient l’objet d’enquêtes au MAMROT lors du début des travaux.

Le gouvernement péquiste pénalise l’ensemble de la population québécoise en approuvant ce projet qui ne ferait que contracter une dette de 40 millions de dollars sur vingt ans. Les redevances prévues pour la Corporation du Parc Régional de Val-Jalbert sont nettement insuffisantes pour assurer la pérennité du site. Enfin, près de 9,5 millions de dollars de retombées touristiques régionales pourraient être perdus, et ce, seulement pour les deux années de mise en chantier [1].

La lutte s’organise

La Coalition pour la sauvegarde de la Ouiatchouan compte des dizaines d’actions à son actif, parmi elles : des rencontres et démarches auprès de diverses instances gouvernementales ; une participation aux audiences publiques de 2012 du BAPE, qui a produit un rapport complaisant [2] malgré une forte majorité de mémoires contre le projet ; d’innombrables lettres et demandes d’accès à l’information ; de nombreuses pétitions signées contre le projet et de nombreux sondages en 2012 et 2013 qui confirment tous qu’une majorité de citoyen·ne·s s’opposent au projet.

Pour avoir assumé notre rôle de citoyens et citoyennes, pour nous être informés et avoir diffusé l’information pertinente et manquante, pour avoir pris la parole sur diverses tribunes, nous avons constaté que plusieurs irrégularités pourrissent ce dossier. Une panoplie d’incohérences se dévoile. Malheureusement, malgré ces irrégularités parfois avouées, même par le gouvernement, le projet va de l’avant, une irrégularité après l’autre étant « corrigée » ou totalement ignorée, sans sanction, sans amende, sans réelle enquête... Pendant ce temps, des recours judiciaires pèsent contre certain·e·s opposant·e·s, pour un coup d’éclat de désobéissance civile pacifique impliquant quelques trous de vis dans un téléphérique et la création d’un site satirique parodiant le site Internet de Val-Jalbert permettant la diffusion de l’information des opposant·e·s [3].

Quelque chose ne tourne pas rond dans ce projet au sein d’un Québec en surplus énergétique. Devant ce saccage, nous avons besoin d’aide, de soutien technique, moral, financier, juridique, mais aussi d’espoir, de solidarité, de gens prêts à défendre concrètement ce joyau et arrêter ce modèle de développement dit « communautaire », qui ouvrira la porte à toutes sortes d’absurdités de développement en régions éloignées, et ce, aux frais de la population québécoise.


[1Jean-Yves Nadeau et Pierre Leclerc, « Dossier noir sur le projet de centrale hydroélectrique de Val-Jalbert », CSOV et Fondation Rivières, 6 mai 2013. Disponible en ligne au http://fondationrivieres.org/.

[2Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, « Projet de mise en valeur hydroélectrique de la rivière Ouiatchouan au village historique de Val-Jalbert ». Disponible en ligne au http://www.bape.gouv.qc.ca .

[3Voir l’article suivant « Cas de censure grave – L’affaire valjalbert.ca ». (NDLR)

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème