International
Mobilisations populaires au Brésil
Le géant s’est réveillé
Ce slogan que l’on pouvait voir sur les affiches lors des manifestations de l’été dernier au Brésil fait allusion à l’hymne national. Il témoigne également de la renaissance des luttes sociales et des mobilisations de rue, qui s’étaient partiellement assoupies depuis l’arrivée au pouvoir du Parti des travailleurs.
C’est le 6 juin qu’a eu lieu la première manifestation qui a retenu l’attention des médias un peu partout à travers le monde. À l’instigation du Mouvement pour le billet gratuit (MLP en portugais), groupe actif depuis 2005 et revendiquant la gratuité des transports publics, cette première manifestation voulait protester contre l’augmentation de 0,20 real brésilien (environ 0,10 dollar canadien) du tarif des transports publics proposé par le gouvernement. L’augmentation peut sembler infime, mais il faut rappeler que le coût du billet était déjà de presque 1,5 $ pour un salaire minimum mensuel d’environ 320 $. Les autorités politiques parlaient d’une hausse inévitable, sans possibilité de négociation et justifiaient l’action violente de la police dans les manifestations qui ont suivi au cours de la semaine.
Les revendications ont rapidement débordé le simple enjeu du tarif des transports publics pour aborder, partout dans le pays, des thèmes plus larges tels que l’éducation, la santé, les droits des femmes, des autochtones et des homosexuel·le·s. Le mouvement a également questionné d’autres transformations législatives, dont l’argent englouti dans la corruption [1] ou la construction de stades et autres infrastructures pour la Coupe du monde de soccer [2]. Quelque chose de nouveau surgissait que ni les professionnel·le·s de la science politique, ni les médias, ni les gouvernements ne pouvaient expliquer.
Deux semaines plus tard, et une journée après la révocation de la hausse tarifaire du transport dans différentes villes, le Brésil a vu, selon les chiffres donnés par les médias, plus de 1,4 million de personnes sortir dans les rues de plus d’une centaine de villes à travers le pays. Cela a été la preuve définitive que l’enjeu du transport public, déjà en soi un aspect important et structurant des droits, avait permis de faire remonter au grand jour toute une histoire d’oppression politique et de luttes contre celle-ci. Les manifestations, même si sur une plus petite échelle, demeurent fréquentes encore aujourd’hui, n’ont plus de leaders officiels et sont organisées par l’entremise d’Internet et des réseaux sociaux soulevant autant des questions générales reliées à la structure fortement inégalitaire de la société brésilienne que des demandes ponctuelles et spécifiques.
La force de la rue
Avec leurs forces et leurs contradictions, ces manifestations sont à l’image de la société brésilienne : si d’un côté on voyait les mouvements sociaux qui luttent pour l’émancipation, il suffisait de tourner la tête pour trouver des groupes de droite qui demandent le retour de l’armée comme solution aux problèmes de corruption. Si l’on a pu voir des groupes sociaux marginalisés, dans toute leur diversité et leurs différences, se réunir pour la construction de la démocratie, l’on a aussi été témoin d’épisodes de violence entre manifestant·e·s. Et cela, dans un contexte de violences policières extrêmes et d’une couverture médiatique biaisée. La gauche et la droite, la liberté et l’intolérance, l’espoir et l’oppression. Ce mélange de contradictions n’est rien de plus qu’une illustration de ce qui existe dans la vie quotidienne de notre société et qui prend la forme des injustices vécues par les plus pauvres.
La bataille politique est parfois menée à l’intérieur des institutions établies, mais c’est lorsqu’elle est portée par la rue, par le peuple, qu’elle gagne la force nécessaire pour enfin bouleverser les structures, les idées, les cœurs et les histoires. Par cette force qui prend les rues, les Brésilien·ne·s disent que la société veut changer les institutions politiques qui reposent encore sur l’exclusion du plus grand nombre. Dans un pays très inégal où le système sert l’intérêt des élites et où les principaux partis de gauche ont dû faire des concessions éthiques majeures pour être au pouvoir, le peuple est en train de montrer que la classe politique ne peut pas représenter à elle seule toute une société et que le pays doit avancer dans la construction de dispositifs politiques plus participatifs et inclusifs.
Jusqu’ici, on peut déjà identifier quelques résultats, certains bien concrets, d’autres plus symboliques : les hausses ont été révoquées, la gauche a commencé à admettre la nécessité d’une révision de ses actions, la présidente Dilma Rousseff a proposé un référendum et a promis d’ouvrir les canaux de communication avec les mouvements sociaux, et les médias ont réalisé qu’ils ne peuvent pas tout manipuler. De tout cela, on ne sait pas ce qui restera et ce qui changera, mais on ne peut pas nier l’importance de ce moment historique de la mobilisation populaire.
[1] Une étude réalisée en 2010 par la Fédération des industries de l’État de São Paulo estimait que la corruption coûtait au pays près de 30 milliards de dollars par année, une évaluation jugée conservatrice par plusieurs.
[2] On évalue à une dizaine de milliards de dollars le coût de l’organisation de la Coupe du Monde 2014.