Présentation du dossier du no 51
En plein corps
En kiosque le 11 octobre
Dans sa chronique féministe en nos pages, Martine Delvaux traite du filibuster de Wendy Davis, représentante au Sénat du Texas qui a occupé le plancher du Sénat pendant plus de dix heures consécutives, debout, sans pause ni repas. En livrant un long discours visant à bloquer l’adoption d’un projet de loi menaçant les possiblités d’avorter au Texas, elle infligeait une épreuve à son propre corps, dans le but de stopper une atteinte aux droits des femmes de disposer du leur. Nous ne pouvions trouver meilleure illustration des questions que nous avons cherché à soulever dans ce dossier, à savoir que le corps est non seulement l’enjeu de plusieurs batailles actuelles, mais est aussi directement mobilisé dans le cadre de luttes sociales.
Le corps représente ce dont nous disposons de plus personnel, de plus privé, un territoire souverain. La liberté de disposer de son corps est un principe fondamental, et pourtant le corps est un espace extrêmement politisé, normé, exploité et contrôlé.
• Par la norme sociale et culturelle : stéréotypes d’apparence, de beauté, de décence, d’expression du genre, de sexualisation.
• Par les forces de l’État, qui contrôlent les corps des migrant·e·s, des déviant·e·s, des désobéissant·e·s : incarcérations, assignations à domicile pour les arrêté·e·s du G20, souricières pour les manifestant·e·s, frontières, régulation de l’immigration selon la santé et la situation de handicap.
• Par les lois, qui définissent ce que nos corps peuvent légalement faire... ou pas. Il n’y a pas si longtemps, il était interdit d’utiliser la contraception, d’avorter, de pratiquer certains actes sexuels entre adultes consentants...
Le corps est un espace où se cristallisent des enjeux politiques, où s’incarnent les normes, les stéréotypes et les oppressions, mais c’est aussi un outil de lutte et de transgression : corps en luttes, contestataires, qui s’opposent physiquement au pouvoir et à l’ordre établi. Femmes poilues, drags en talons hauts, mouvements de libération afro-américains exaltant une esthétique black, boucliers humains, grévistes de la faim, écologistes attaché·e·s à des arbres.
Bref, le corps est à la fois terrain et outil de lutte.
Pour explorer cette vaste idée, nous avons divisé ce dossier en trois. Une première partie étudie la question du contrôle du corps. Diane Lamoureux fait l’historique des luttes des femmes pour obtenir plein contrôle de leur corps. Gabrielle Bouchard et Marie-Claude Garneau démontrent, par le cas de la stérilisation forcée des personnes trans, les effets du conformisme de genre. Abby Lippman présente l’emprise de la médecine et de l’industrie pharmaceutique sur nos existences.
Une deuxième partie met en lumière des manières de mobiliser le corps à des fins militantes. Martine Delvaux s’interroge sur le nu militant, tel que mis en pratique par le groupe FEMEN, entre autres. Pinote réfléchit sur les mutilations du corps (immolations, grèves de la faim) comme action de dernier recours. Dalie Giroux et Amélie-Anne Mailhot présentent la place du corps dans la lutte innue contre le projet hydro-électrique de la Romaine.
Enfin, une troisième partie explore des questions liées au corps actuellement débattues au sein du mouvement féministe. Leila Bedeir et Anahi Morales Hudon discutent de la place des femmes immigrantes et racisées au sein de ce mouvement. Sandrine Ricci s’interroge sur la place du consentement chez les personnes prostituées. Marie Soleil Chrétien présente l’ouvrage L’être et la marchandise, selon lequel la prostitution et la maternité de substitution participent de la marchandisation du corps des femmes. Ève-Marie Lacasse montre les parallèles entre le débat sur la prostitution/travail du sexe et celui sur le port du voile chez les femmes musulmanes. Cybel Richer-B. clôt le dossier en présentant le forum des États généraux du féminisme, qui se tiendra à l’UQÀM du 14 au 17 novembre prochain.
Bonne lecture à toutes et à tous !