Chronique féminisme
Des féministes radicales à Montréal ? Oh oui !
par Mélanie Landreville
Le féminisme radical, ça vous dit quelque chose ? Ces féministes irrévérencieuses qui, dès la fin des années 1960, se réunissaient dans les cuisines, descendaient dans la rue, faisaient des actions-choc, « brassaient la cage » et bien d’autres choses encore ? Époque révolue ? Que non ! Le 16 février dernier avait lieu à Montréal une rencontre de féministes radicales, la deuxième en cinq ans. La première avait eu lieu en 2003. À chaque fois presque une centaine de femmes se sont mobilisées, dont une majorité de jeunes femmes entre 20 et 30 ans. Qu’on se le dise, le féminisme radical est toujours vivant !
À la fin des années 1960, les femmes prennent d’assaut toutes les tribunes. Ce sont les années de « libération sexuelle » : les femmes sortent en « gang » dans les rues, délaissent la cuisine et les bébés pour prendre leur essor économique et politique. C’est l’époque du Front de libération des femmes et du Centre des femmes. 1975, l’année de ma naissance, est déclarée Année internationale de « La femme » (on pourrait se demander laquelle, mais bon !). Les artistes revendiquent une parole plurielle, libérée d‘une morale pour le moins coincée, héritage de l’Église catholique. La nef des sorcières de Denise Boucher, pour ne citer qu’elle, fait un malheur. On dénonce avec passion la domination patriarcale [1]. On se sépare des hommes, on se réunit entre femmes pour se conscientiser et se redonner du pouvoir, mener des luttes et revendiquer des droits (contre la violence conjugale, pour le droit à l’avortement libre et gratuit) et des services porteurs d’émancipation (des garderies, des approches alternatives en santé, etc.). Au début des années 1980, pour toutes sortes de raisons que je ne peux aborder ici, le mouvement féministe se transforme et sa frange radicale se disperse dans une multitude d’initiatives, de groupes et de tendances.
Disparu de la mappe, le féminisme radical ? Pas du tout ! Il est vrai qu’on ne nous voit pas souvent. Les médias de masse nous ignorent. Par contre, beaucoup de fausses rumeurs et de clichés, pour ne pas dire de grossiers mensonges, circulent à notre sujet. Nous avons besoin de plus de lieux pour échanger sur nos luttes et nos expériences et, partant, pour se mobiliser vers plus d’action politique, de visibilité, d’éducation populaire, bref de présence politique, émotionnelle, intellectuelle et spirituelle dans la société. Les rencontres de féministes radicales de 2003 et de 2008 viennent répondre à ce besoin.
En 2002, une équipe composée de militantes de deux collectifs de féministes radicales, Les Sorcières et Némésis, se forme pour créer un lieu de réflexion et de festivité autour du féminisme radical. En 2003 et 2008, les rencontres réunissent des féministes radicales pour parler de politique, des luttes à mener contre le patriarcat et la montée de la droite, d’écoféminisme, de la place des femmes dans le mouvement étudiant, de spiritualité, de maternité, de santé et d’accouchement alternatif, et de bien d’autres sujets encore [2]. Bien que plusieurs féministes radicales œuvrent dans des groupes ou organisations féministes, la centaine de militantes qui ont participé à chacune des rencontres proviennent de milieux très diversifiés. Cela indique que le mouvement féministe radical rejoint des femmes et des militantes qui ne se retrouvent pas nécessairement dans les circuits féministes plus institutionnalisés.
Dans un contexte où la droite et le néolibéralisme gagnent sans cesse du terrain, où même des projets de loi concernant la censure voient le jour, où le droit à l’avortement est régulièrement remis en cause et où les discours antiféministes sont largement diffusés par les médias, les féministes radicales sentent plus que jamais le besoin de se réunir entre elles et de faire le point sur les stratégies à adopter face à la domination patriarcale. Les organisatrices prévoient déjà un autre rassemblement pour 2009. En 2010, la Marche mondiale des femmes organisera d’autres actions à l’échelle mondiale et des actions importantes auront lieu au Québec. Nous rêvons de profiter de cette occasion pour mobiliser un contingent féministe radical anarchiste et montrer à la face du monde que nous existons !
Si vous croyez que le féminisme radical est mort et enterré, attachez vos ceintures, mettez vos lunettes fumées parce que vous risquez d’être joyeusement décoiffée par la déferlante féministe radicale : actions, rébellions, créations, mobilisations !
[1] Le patriarcat est une métaphilosophie et un système social où le groupe des hommes est placé au sommet de la hiérarchie sociale, politique, culturelle et économique, dominant et opprimant les femmes, les homosexuelles, les enfants et les autres êtres vivants. Les hiérarchies patriarcales se combinent de multiples manières à celles du racisme et des classes sociales. Le féminisme radical travaille à déconstruire la domination patriarcale sous toutes ses formes ainsi qu’à défendre le droit politique des femmes de se réunir entre elles en groupes autonomes (ce qu’on appelle la non-mixité des luttes féministes).
[2] Les deux rencontres ont été filmées par des vidéastes du collectif Les Lucioles. Le vidéo de la rencontre de 2003 est disponible en version courte et en version longue. Voir : www.leslucioles.org.