Dossier : Maternité et médecine. Silence, on accouche !
Pleins feux sur la violence obstétricale
Alors que l’enfantement devrait être un moment grandiose où la femme accède à toute sa puissance intérieure et à un amour plus grand que nature pour son bébé, il est loin d’être toujours idyllique. Dans trop de cas, la mise au monde d’un enfant est synonyme de manque de respect, d’interventions sans consentement, de peur, d’incompréhension, de vulnérabilité et de violence.
En tant qu’organisme s’intéressant à la question des droits des femmes en périnatalité, le Regroupement Naissance-Renaissance (RNR) entend chaque jour des femmes raconter leur expérience d’accouchement remplie de tristesse, de colère, de confusion, d’indignation. Cette expérience peut même parfois se traduire en syndrome de stress post-traumatique. Voici quelques exemples que rapportent les femmes :
« Je croyais que le médecin me faisait simplement un toucher vaginal, mais ça m’a fait vraiment très mal et après je saignais et j’avais des contractions inconfortables. C’est seulement par après qu’il m’a dit qu’il m’avait fait un décollement des membranes. Il ne m’a ni demandé mon consentement, ni même avertie. J’étais en état de choc. »
« J’avais précisément demandé dans mon plan de naissance que je ne voulais pas d’épisiotomie. Pourtant, le médecin m’a coupée en disant que le bébé devait sortir maintenant et je n’ai même pas eu le temps de réagir. Par la suite, j’ai su que ce médecin pratiquait des épisiotomies sur toutes ses patientes. Je ne cesse de pleurer depuis ce temps-là, car j’ai mal à mon périnée et je n’ose plus avoir de relations sexuelles à cause de la douleur. Je ne me sens plus femme. »
« J’ai accouché dans un hôpital universitaire et je savais qu’il y aurait des étudiants en médecine. Mais là, ils sont venus me faire des touchers vaginaux simplement pour se pratiquer. C’était de jeunes étudiants sans expérience et ils me faisaient parfois mal. Le médecin leur parlait comme si je n’étais pas là pendant qu’ils avaient leurs doigts dans mon vagin. C’était absolument humiliant. J’ai tellement eu de touchers vaginaux que je l’ai vécu comme un viol collectif. J’étais tétanisée. »
« Tout semblait bien aller. Tout d’un coup, la nouvelle médecin de garde est entrée et elle s’est mise à paniquer. Elle a dit qu’il fallait aller en césarienne d’urgence. J’ai protesté, en disant que je sentais que tout allait bien et que je voulais laisser du temps à mon corps, que j’étais confiante. Elle m’a répondu d’un ton condescendant et autoritaire : “C’est ton choix, mais si tu refuses la césarienne, ton bébé va mourir. Il est en détresse et il doit sortir tout de suite !” C’est donc en pleurs que j’ai accepté. Finalement, j’ai dû attendre environ une heure avant d’avoir la césarienne, avec le stress constant que mon bébé était en train de mourir, et mon bébé était en parfaite santé ! Je suis tellement en colère ! Il n’y avait aucune urgence et on m’a menti, manipulée. Je me sens trahie. »
Où est le choix libre et éclairé quand on ne donne pas les informations nécessaires à une prise de décision au moment propice ? Quand on n’informe même pas la femme des interventions qu’on s’apprête à lui faire ? Quand on fait du chantage ou fournit carrément des informations erronées pour que la femme fasse ce qu’on lui demande ? Où est le respect du droit fondamental de l’inviolabilité du corps quand on agit contre le choix de la femme ?
Face à ces témoignages troublants, plusieurs organisations dans le monde se mobilisent pour dénoncer ce qu’on appelle maintenant la « violence obstétricale ».
Violence systémique et de genre
La violence obstétricale constitue de la violence, sous toutes ses formes (psychologique, sexuelle, physique, verbale, par omission, etc.), commise dans un contexte obstétrical (accouchement, suivi de grossesse, post-partum immédiat, avortement, fausse couche, etc.). Il s’agit d’une forme de violence à la fois systémique et de genre.
Une violence systémique fait référence au fait que c’est le système en soi qui, de par son organisation et son cadre rigide et hiérarchique, est générateur de violence. Cette violence devient à son tour banalisée et normalisée. Elle est subie par les personnes faisant appel au système de santé, mais également par les personnes y travaillant, soit le personnel soignant. Plus spécifiquement, on peut parler de la violence institutionnelle que subissent les usagères dans le milieu hospitalier. Cette violence se définit comme toute action, ou absence d’action (négligence), commise dans et par une institution ainsi que par les ambiances qui causent à l’usagère une souffrance physique ou psychologique. Cette violence est commise par des personnes ayant autorité sur des personnes particulièrement vulnérables (ici, la parturiente et son nouveau-né).
On parle de violence de genre lorsque la violence est dirigée contre une femme du fait qu’elle est femme ou qu’elle affecte les femmes de manière disproportionnée. La violence obstétricale constitue donc une violence de genre, puisque ce sont très majoritairement des femmes qui accouchent (et dans une moindre mesure des hommes trans et des personnes non binaires). Ajoutons à cela que les analyses faites sur la santé des femmes démontrent qu’elles vivent des discriminations relatives à leur identité de genre dans le milieu de la santé. Par exemple, on considère que leur corps est défaillant par des notions obstétricales telles qu’« utérus paresseux », « col incompétent », « failure to progress » (arrêt de progression du travail). De plus, les femmes sont souvent infantilisées et considérées comme inaptes à prendre des décisions pour elles-mêmes. Cela se traduit par une attitude condescendante, un non-respect des besoins et des droits de la parturiente ainsi que par des interventions commises sans consentement.
Le Venezuela, l’Argentine et l’État du Chiapas au Mexique ont adopté des lois définissant la violence obstétricale comme une forme de violence faite aux femmes. D’autres pays, notamment l’Italie et le Chili, sont en voie d’adopter une loi similaire et la France s’apprête à faire une commission d’enquête sur le sujet. Pendant ce temps, au Québec, nous tardons à discuter de la réalité de cette violence dans l’expérience de l’accouchement.
Les manifestations de la violence obstétricale
Afin de rendre visible cette violence, le RNR a mené deux études. Conduite par Lourdes Rodriguez del Barrio, Stéphanie St-Amant, Hélène Vadeboncoeur et Myriam Hivon, la première révèle comment l’organisation des soins, les attitudes du personnel soignant (attitudes souvent directement liées aux conditions de travail et à la culture organisationnelle) et les pratiques hospitalières sont génératrices de violence pour les personnes qui accouchent. Cette violence se manifeste notamment sous trois aspects.
1. L’organisation des soins : protocoles hospitaliers et routines nuisibles ou employés de manière inappropriée, multiplication des intervenant·e·s et des gestes, rapports ou relations hiérarchiques entre les intervenant·e·s, ambiance stressante et manque d’intimité, personnel changeant sans cesse et insuffisamment disponible.
2. Des attitudes : gestes, paroles ou attitudes brusques, impersonnelles ou déplaisantes ; paroles induisant peur, découragement ou manque de confiance ; paroles infantilisantes, contrôlantes, manipulatrices ou qui réifient ; propos qui sèment le doute, qui nient ou contredisent le vécu de la femme ; propos agressifs ou hostiles.
3. Des pratiques : routines et protocoles abusifs (non fondés scientifiquement, inutiles, évitables, etc.) ; pathologisation du corps féminin ; mauvais usage et surutilisation des interventions, de la médication ou de la technologie ; formes de manipulation afin d’obtenir un consentement.
La deuxième étude, réalisée par Sylvie Lévesque et Manon Bergeron, révèle notamment que les personnes qui sont témoins de violence obstétricale peuvent elles-mêmes vivre un traumatisme vicariant. Des accompagnantes à la naissance rapportent que, parfois, les accouchements sont si violents qu’elles les considèrent comme des viols. Certaines en sont venues à cesser l’accompagnement.
Les luttes locales
Lors des ateliers Maternité et dignité animés par le RNR en 2014 et 2015, une centaine de femmes de divers horizons ont parlé du manque de dignité et du peu de respect qu’elles ont vécus lors de leurs grossesses, accouchements et suivis postnataux. La démarche adoptée lors des ateliers a fait surgir des mots et des images en réaction aux histoires partagées et a mené les participantes à concevoir des actions citoyennes dans le but d’amener toutes les femmes vers une plus grande dignité.
Pour le moment, les solutions offertes par le système de santé demeurent toutefois au niveau individuel. Étant donné la non-reconnaissance sociale de la violence obstétricale, aucune ressource n’y est allouée. Ainsi, une femme ayant été victime de violence obstétricale a peu d’options : entreprendre une thérapie individuelle avec un·e thérapeute non spécialisé·e sur la question, rejoindre des cercles de femmes (encore une fois, non spécifiques à la problématique) ou porter plainte (avec une très faible chance d’avoir un retour sur cette plainte).
Il nous faut donc collectivement prendre conscience de l’existence, de l’ampleur et des conséquences de la violence obstétricale pour développer des réponses collectives, tant en matière de prévention que de guérison. Nous en sommes encore à l’étape de sensibiliser et de faire reconnaître l’existence de la violence obstétricale. Cette sensibilisation porte lentement fruit et des femmes et des organismes réclament de plus en plus que des actions soient entreprises. Jusqu’à maintenant, deux organismes communautaires en périnatalité ont mis sur pied des groupes de soutien pour les femmes ayant vécu un accouchement traumatique, soit Alternative Naissance à Montréal et le Collectif Les accompagnantes à Québec. Ces initiatives viennent répondre à un besoin des femmes, mais elles abordent la question selon l’angle du traumatisme. Or, qui dit accouchement traumatique ne dit pas automatiquement violence obstétricale et vice versa. Par exemple, une femme peut vivre un traumatisme malgré une équipe médicale qui a été impeccable parce que le bébé est né prématurément et qu’il était en détresse. Ainsi, ce sont deux phénomènes hautement corrélés, mais néanmoins distincts.
Il existe un mouvement mondial pour le respect dans les soins de maternité qui adhère à la Charte internationale pour les droits des femmes en période périnatale. De plus, dans plusieurs pays, particulièrement en Amérique latine et en Europe, des groupes citoyens mettent sur pied des observatoires de violence obstétricale, mènent des enquêtes, rédigent des guides, font des campagnes médiatiques de dénonciation, etc.
Au Québec, nous devons également continuer de recueillir et diffuser les témoignages des femmes ainsi que documenter l’ampleur du phénomène par des sondages, des enquêtes et des recherches. Les femmes et les organismes doivent se rassembler, se mobiliser et réclamer que la situation change. Une fois cette reconnaissance sociale minimale acquise, il sera possible de demander des changements dans l’organisation des soins, les politiques gouvernementales et les lois ainsi que d’offrir de réelles ressources et recours pour les victimes de violence obstétricale. Les exemples du Venezuela, du Brésil et de l’Argentine démontrent que ce cheminement est tout à fait possible et nous espérons que le Québec saura profiter des gains faits dans d’autres pays pour améliorer l’expérience de toutes les personnes qui donnent la vie.