Montréal-Nord. Une clinique de proximité par et pour les citoyenn·e·s
À Montréal-Nord, des citoyen·ne·s construisent une clinique communautaire de proximité, fruit d’un partenariat regroupant Parole d’excluEs, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) et la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal. Ce projet repose sur une vision élargie de la santé qui postule que les besoins de la communauté doivent être au cœur de l’approche des soins, et dans laquelle les citoyen·ne·s sont appelé·e·s à jouer un rôle actif aux côtés des professionnelles de la santé.
Point de vue de la FIQ
Régine Laurent, présidente de la FIQ
Depuis plusieurs années déjà, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec dénonce ces situations où des personnes se trouvent en marge du réseau de la santé. En 2014, au congrès de l’organisation, les déléguées avaient donné leur appui à de « nouveaux modèles » visant le renouvellement des services publics et répondant mieux aux besoins de soins des communautés. Le projet d’ouverture d’une clinique à Montréal-Nord s’inscrit dans ce cadre. Témoins privilégiées du système de santé au quotidien, les membres de la FIQ connaissent les effets négatifs des inégalités socioéconomiques sur la santé. Pour pallier le manque de médecins et pour répondre aux besoins précis des patient·e·s vulnérables, la FIQ milite donc en partenariat avec l’organisme Parole d’excluEs afin qu’une clinique de proximité voie le jour dans cet arrondissement.
Des soins tout près de chez soi
La raison d’être d’une clinique de proximité publique est de pouvoir offrir des soins de santé de première ligne adaptés à chaque communauté. Ces soins peuvent concerner les maladies chroniques, les suivis prénataux et postnataux, la promotion de la santé et la prévention de la maladie, la santé publique et scolaire ainsi que les services Info-Santé.
Complémentaires au réseau public, les cliniques de proximité sont sans but lucratif, contrairement aux cliniques du secteur privé. S’appuyant sur l’économie sociale et solidaire, elles proposent un fonctionnement basé sur la collaboration de différents acteurs·trices et la participation citoyenne.
Les cliniques de proximité promues par la FIQ permettent ainsi aux professionnelles en soins d’exercer pleinement leur champ de compétences et de prendre en charge les personnes dont l’état ne nécessite pas l’intervention d’un médecin à chaque rendez-vous. Ce dernier peut donc se consacrer aux cas plus complexes qui requièrent son expertise. En mettant la personne au centre du réseau, on lui offre ainsi des soins de qualité adaptés à sa réalité.
Une clinique de proximité à Montréal-Nord
Le réseau public de la santé ne répondant pas à leurs besoins, des citoyen·ne·s de Montréal-Nord se sont inspiré·e·s de l’exemple de la clinique SABSA, située à Québec, et ont défini, lors d’une assemblée citoyenne, quatre principes fondateurs à partir desquels ils et elles ont conçu le projet d’ouverture d’une clinique de proximité :
1. Une clinique accueillante où les personnes se sentent écoutées et respectées, où on les aide à s’orienter dans le réseau de la santé et à comprendre le traitement proposé.
2. Une clinique accessible pour les personnes qui ont de la difficulté à se déplacer (mobilité réduite ou incapacité de payer les coûts de transport) et qui n’engage aucuns frais pour les services rendus.
3. Une clinique inclusive et ouverte à toutes et à tous (en particulier aux personnes qui se sentent marginalisées, stigmatisées et vulnérables ou qui sont perçues comme telles).
4. Une clinique portée par la communauté, puisque les citoyen·ne·s jouent un rôle important dans sa mise en œuvre et dans son fonctionnement démocratique, afin qu’elle soit parfaitement arrimée aux besoins de la population. Les citoyen·ne·s collaborent à l’accueil des patient·e·s avec les professionnelles en soins et les intervenantes et intervenants sociaux.
Un projet soutenu par des partenaires
Pour qu’un projet de cette envergure soit une réussite, il faut avoir un appui financier, logistique ou autre de différents partenaires. Dans ce cas-ci, dès le départ, la Ville de Montréal et l’arrondissement Montréal-Nord ont soutenu l’initiative. L’arrondissement a même contribué à la réalisation du projet en versant le montant nécessaire de 20000 $. La FIQ et Parole d’excluEs ont aussi pu compter sur la collaboration de la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal. Cette dernière a en effet accepté de fournir les locaux de la future clinique.
Une vision pour l’avenir
L’expérience de SABSA et le projet de clinique à Montréal-Nord confirment que ce genre de projet novateur peut être demandé par des communautés où les services de santé ne sont pas accessibles. Les cliniques de proximité sont élaborées pour être exportables partout, tout en les adaptant aux besoins précis de chaque milieu où elles sont implantées. C’est une des solutions prônées par la FIQ pour pallier les problèmes existants dans le réseau public de la santé.
En mettant sur pied ce type de clinique, on désengorge les urgences, on réduit les listes d’attente pour consulter un médecin et on facilite l’accès à des soins de qualité, tout en permettant aux infirmières de jouer pleinement leur rôle de professionnelles en soins. Pour ce faire, la volonté gouvernementale est nécessaire. Vu les réticences des docteurs-ministres, il faut compter sur un solide partenariat réunissant différents acteurs et actrices de la communauté pour instaurer des pourparlers et voir à la réalisation de telles cliniques.
Point de vue de Parole d’exclu·e·s
Cybel Richer-Boivin, coordonnatrice aux communications et à la vie associative de Parole d’excluEs
Lorsque la FIQ a approché Parole d’excluEs avec cette idée de créer une clinique de proximité à Montréal-Nord, notre organisation a réalisé une étude de terrain afin de mieux cerner les enjeux liés à l’accès aux soins et aux services de santé de ce quartier. La recherche s’est intéressée aux expériences et aux perceptions des citoyen·ne·s envers le système de santé, à l’arrimage entre les services et leurs besoins ainsi qu’aux pistes de solutions.
L’accès difficile à un médecin de famille, les longs temps d’attente aux urgences, les délais pour obtenir une chirurgie ou encore les frais liés à certains tests et à la prise de médicaments sont souvent dénoncés comme des freins à l’accès aux soins et aux services de santé. L’étude de Parole d’excluEs a permis de passer de ces constats globaux à une connaissance des particularités de ces enjeux dans un arrondissement comme Montréal-Nord. Ainsi, l’étude révèle que la question de l’accessibilité ne se limite pas seulement aux obstacles économiques ou géographiques. On aborde plus largement les questions de l’accueil au sein du système de santé, du sentiment d’être un numéro, du manque d’écoute ou encore du sentiment d’être jugé·e. L’étude fait ressortir l’insuffisance des services dans le quartier, le manque de places sans rendez-vous, de médecins et de cliniques. Les citoyen·ne·s rencontré·e·s lors de l’étude ont également évoqué leurs difficultés quant à la compréhension du fonctionnement du système de santé, à l’orientation à l’intérieur de celui-ci et au manque d’explications sur les soins prescrits.
Un autre aspect lié à l’accès aux soins est celui du manque d’inclusion. On pense ici à la difficulté pour les personnes identifiées par le système comme des « cas lourds » à trouver des professionnel·le·s de la santé pour être suivies, aux difficultés et aux risques pour les personnes sans-papiers ou en situation irrégulière à obtenir des soins, aux obstacles pour obtenir des soins de santé mentale, etc.
Ces résultats ont amené les citoyen·ne·s, Parole d’excluEs et ses partenaires (la FIQ et la Société d’habitation populaire de l’Est de Montréal) à affirmer qu’il est nécessaire de créer un nouveau modèle pouvant répondre aux besoins de cette population. Le modèle de clinique proposé repose ainsi sur quatre principes pour guider son développement et son fonctionnement futurs. Cette clinique doit être accueillante, accessible, inclusive et ouverte à tous et toutes, et portée par sa communauté.
Transformer le rapport aux soins de santé
La clinique communautaire de proximité à Montréal-Nord est l’occasion de se réapproprier, dans une perspective citoyenne, les services de santé ainsi que les professions et le pouvoir liés à la santé. Avec les citoyen·ne·s de l’arrondissement, Parole d’excluEs veut démontrer qu’il est possible de rendre accessibles des services santé qui répondent au besoin de la population et de créer une clinique co-construite avec le milieu.
Cette participation est au cœur de la démarche de Parole d’excluEs visant à développer des solutions structurantes pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion. Les citoyen·ne·s de Montréal-Nord se sont ainsi réuni·e·s au sein d’un comité de la santé pour réfléchir collectivement au développement d’un modèle de clinique dans lequel ils et elles jouent un rôle actif et où leurs connaissances et compétences sont reconnues. Les citoyen·ne·s participent également à des groupes de travail aux côtés de professionnel·le·s et de chercheurs·euses. Ces groupes sont des espaces privilégiés pour croiser différentes formes de savoirs (expérientiels, professionnels et universitaires). La présence importante des citoyen·ne·s sensibilise les professionnel·le·s et les chercheurs·euses aux expériences vécues par la population dans le système de santé.
La démarche que nous portons n’est donc pas simplement celle de construire une clinique sur le plan logistique. Elle vise également à créer une communauté soignante à Montréal-Nord, c’est-à-dire mettre en place les conditions nécessaires pour une reprise de pouvoir de chacun·e sur la santé, où tous et toutes prennent conscience de leurs connaissances, développent les habiletés pour prendre des décisions éclairées en matière de santé, se solidarisent et s’entraident. C’est ainsi que l’idée d’une clinique au cœur de sa communauté prend pleinement son sens.
Pérenniser la clinique
La clinique communautaire de proximité est actuellement en phase de pré-démarrage. L’obtention d’un local sur la rue Lapierre, dans le nord-est de Montréal-Nord, et l’embauche d’une personne chargée de mettre sur pied la clinique nous permettent d’envisager une ouverture dans les prochains mois. Si le projet bénéficie d’un appui citoyen et communautaire important dans l’arrondissement et que les premières sommes ont été amassées, l’enjeu de pérenniser la clinique est réel. Depuis le début de la démarche, les citoyen·ne·s, Parole d’excluEs et ses partenaires font face au refus du ministre de la Santé de soutenir ce nouveau modèle de clinique. Une mobilisation citoyenne élargie nous semble aujourd’hui nécessaire pour faire en sorte qu’un projet comme celui-ci transforme réellement et durablement Montréal-Nord.