Présentation
Mini-dossier : L’Acadie
L’Acadie et le Québec entretiennent des rapports complexes alors qu’ils sont pourtant des alliés naturels, les deux visant à faire société en français, chacun à leur manière, sur un continent qui carbure majoritairement à l’anglais.
Par la force du nombre et le bénéfice d’un environnement institutionnel permettant le renouvellement de sa communauté francophone, le Québec peut se permettre de voir l’enjeu linguistique comme conservateur, quasiment dépassé, alors qu’il était si vif et synonyme de progrès au temps de la Révolution tranquille. Ailleurs au pays, notamment en Acadie, la question du statut et de la place du français est toujours un lieu de luttes et de mobilisations qui visent à la continuité des communautés francophones. Des communautés dans certains cas vivantes et dynamiques, mais aussi fragiles et menacées dans d’autres cas, avec lesquelles le Québec entretient une relation difficile, tendue et parfois même antagonique.
Dans l’incontournable débat sur la reconnaissance du français et le pouvoir d’agir des peuples et des communautés francophones, la Charte canadienne des droits et libertés a divisé le Québec de l’Acadie et du reste de la francophonie canadienne. Elle a fourni des armes juridiques aux francophones en situation minoritaire et, dans la continuité des programmes de soutien gouvernemental, les a mis dans l’orbite de l’État fédéral. Cependant, le Québec avait déjà commencé à faire bande à part. Les États généraux du Canada français (1967) et les débats sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1969) ont en effet marqué un point de rupture politique, alors que le Québec délaissait le projet d’un Canada français pour celui de l’autodétermination.
Depuis l’avènement de la Charte canadienne, pour défendre le fait français, on observe deux stratégies contradictoires : les Québécois utilisent une approche politique à travers leur État, tandis que les Acadiens et les communautés francophones minoritaires optent pour l’arme juridique à travers les tribunaux. Or, la judiciarisation de la question linguistique participe à l’évacuation de la mémoire et de la culture qui donnent pourtant un sens et une profondeur aux aspirations acadiennes et francophones.
De plus, parce qu’elle pose comme équivalents les communautés francophones minoritaires et les Anglo-Québécois, la Charte canadienne participe aussi des rapports difficiles entre le Québec, l’Acadie et la francophonie canadienne. Le gouvernement du Québec envoie désormais ses juristes plaider devant la Cour suprême du Canada contre les communautés francophones minoritaires (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon [Procureure générale], 2015), en même temps qu’il prône un rapprochement avec ces dernières.
Loin de l’angélisme du ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie, Jean-Marc Fournier, qui prétend que les communautés francophones ne se seraient jamais aussi bien portées au Canada, et loin du fatalisme qui les voit comme « déjà assimilées », ce mini-dossier présente trois perspectives sur les questionnements qui animent les communautés acadiennes et les luttes pour la reconnaissance qu’elles livrent.