Le manteau de Noé
Noé n’a pas que bâti l’Arche qui aurait sauvé les animaux du Déluge, il s’est aussi – Genèse 9, 20 – payé une brosse historique, une fois la Terre asséchée et sa ménagerie débarquée. Ce après quoi il se serait, selon la Sainte Bible, effondré ivre mort et à poil, au grand dam de ses trois fils. Si l’un d’entre eux s’est bidonné sans vergogne, les deux autres ont pudiquement recouvert l’ivrogne de son manteau en approchant à reculons du Père quasi discrédité.
Ce manteau de Noé – promu au rang de métaphore du respect qui serait dû aux figures paternelles en difficulté – reprend du service ces jours-ci. L’utilisation de moteurs de recherche révèle un fascinant travail d’occultation des nouvelles susceptibles d’ajouter au discrédit de Notre Très Saint Père, valeur patrimoniale déposée.
Par exemple, les médias des quatre coins du « monde civilisé » (y compris Cyberpresse) ont rapporté en mars que non, ce n’était pas – comme le disaient les mauvaises langues – Joseph Ratzinger, alors archevêque de Munich, qui avait accueilli et installé dans cette ville en 1980 un curé violeur discrètement évacué d’un autre diocèse. C’était plutôt l’humble abbé Bernhard Gruber, qui assumait en conférence de presse « l’entière responsabilité » de cet impair. Brave et fidèle Bernhard sauveteur… à qui ne manquait que le petit tonneau de Rome sous la gueule.
Mais patatras !
Une mise à jour du dossier [1], publiée beaucoup plus discrètement à la mi-avril en Allemagne, signale que Mgr Gruber – oui, on l’a nommé évêque depuis… – reconnaît maintenant s’être fait tordre le bras par le Vatican pour couvrir Benoît XVI. On lui aurait même dicté par fax sa lettre d’aveu ! Malaise… Et non, cette fois-ci, Cyberpresse n’en a pas pipé mot.
Silence plus lourd encore : comment les auteurs de tous ces viols de jeunes ont-ils pu éviter aussi longtemps toute poursuite pénale dans des pays où le viol d’enfants est tout de même réputé illégal ? Honni soit plutôt qui pense traîner en Cour un homme de robe… On apprend sur le site Web d’un journal européen que « (l)a Cour suprême des États-Unis fera savoir prochainement si elle se saisit d’un recours déposé par le Vatican pour empêcher que certains de ses responsables soient interrogés dans le cadre de l’instruction d’une affaire de prêtre pédophile dans l’Oregon. La plus haute juridiction des États-Unis a demandé en novembre 2009 au représentant du gouvernement Obama de donner son avis sur l’opportunité pour elle de se saisir de cette affaire. [2] »
Ouille ! Une immunité juridique de l’Église catholique, dont décide la plus haute sphère du pouvoir politique… Voilà, pensé-je innocemment, un scoop aussi fumant que les cales de l’Arche du vieux Noé après 40 jours de purin ! N’y a-t-il pas là de quoi justifier une analyse bien sentie d’un viril juriste ou éditorialiste, justement sensible à l’intégrité du pouvoir judiciaire ? Après tout, pensez aux effets catastrophiques de tous ces viols, surtout chez les autochtones, que nous sommes censés aimer comme des frères.
Eh non… Motus et bouse cousue. Toute référence à cet article et au précédent est même excisée des commentaires des lecteurs du Devoir. Pas touche… Fesse queue doigt, comme disait le vieux Bourassa.
Secret d’État
Quant à Ratzinger, on nous ferait oublier qu’il a signé en 2001, et en tant que Pape cette fois, la lettre « De delictis gravioribus », qui impose un « Secret pontifical » à tout prêtre informé d’une violence sexuelle commise par un collègue. Et qu’il tient pour lettre morte au moins deux rapports détaillés des malversations de son clergé aux quatre coins du monde, ce dont témoigne un article détaillé de Micheline Carrier [3].
Dans l’Église catholique comme chez American Express, avoir un membre a encore ses privilèges.
Coda : curieusement, ce récit du manteau est interprété par les exégètes comme une allusion à ce qu’a dû faire, en toute logique, le père Noé avec ses filles pour repeupler la planète. C’est en effet l’inceste que désignerait, selon les biblologues, l’allégorie de la nudité du patriarche. L’écrivain canadien Timothy Findley en a d’ailleurs fait un roman très enlevé, publié en traduction sous le titre Passagers clandestins (Actes Sud, 2008).
On comprendra donc les apologistes du Vatican comme Mgr Marc Ouellet de nous dire, pleins de morgue, que l’Église a déjà vécu bien d’autres crises.
Nihil nove sub sole.
[1] The Local, http://ow.ly/1zR9m
[2] Le Monde, http://bit.ly/9hSnw9
[3] Sisyphe, http://bit.ly/9bZkQN