International
Le défi de l’immigration féminine africaine
Partir ou rester ? Tel est le dilemme auquel sont confrontées plusieurs millions de personnes dans les pays où règne l’insécurité. Du coup, la question suivante s’impose : pourquoi les migrants quittent-ils leur environnement ? Bien évidemment on peut se poser d’autres questions et d’abord celle-ci : quelle serait LA solution idéale pour freiner ces départs massifs vers de nouveaux horizons ? L’exil est-il forcément le sésame qui ouvre les portes de la « quiétude » ?
Le cas de l’immigration africaine
Qu’il s’agisse des migrations de pays à pays ou de celles de continent à continent, les statistiques sont éloquentes : les flux migratoires s’intensifient et s’amplifient. Le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime ainsi à plus de 17 millions le nombre de réfugiés et de déplacés en Afrique. La situation est telle que l’Union africaine, une organisation politique panafricaine qui regroupe 53 États du continent, a adopté en 2009 une convention pour la protection des réfugiés et des déplacés.
A y regarder de plus près, la problématique des réfugiés Africains s’étend bien au-delà des frontières continentales. L’Afrique connaît en effet une explosion des mouvements migratoires vers les pays occidentaux. Bien évidement, cette réalité inquiétante, préoccupante et complexe entraîne une foule de problèmes, tous aussi bouleversants les uns que les autres. De la perte du tissu social originaire aux difficultés d’accession au marché du travail en passant par la méconnaissance des mœurs, le parcours migratoire est jalonné d’embûches. Les défis à relever sont nombreux…
Il faut bien le dire : ceux qui quittent leur environnement d’origine pour s’installer dans d’autres contrées nourrissent des rêves et des espoirs. Et c’est désormais un secret de polichinelle : des difficultés de divers ordres jalonnent leur parcours. Eh oui, la réalité, bien sûr, est fort différente du rêve et des illusions que font naître les grands espérances.
Par ailleurs, depuis quelque années, une nouvelle tendance se profile à l’horizon, qui entraîne des changements profonds et inattendus dans le paysage des mouvements des populations humaines. Comme le signalent plusieurs observateurs, on assiste entre autres à une croissante féminisation de l’immigration africaine qui soulève des difficultés inédites et qui réclame une attention particulière.
Singularité de l’immigration féminine
Au cours des dernière décennies, des guerres épouvantables ont ensanglanté plusieurs pays d’Afrique. Les femmes et les filles, on le sait, ont été les grandes victimes de ces « désordres ». On comprend donc qu’elles aient décidé, en très grand nombre, de chercher refuge à l’étranger, transformant ainsi le profil sociologique de l’immigration.
Jean-Yves Le Gallou affirme ainsi que : « Cette féminisation globale de l’immigration africaine est lourde de conséquences démographiques car elle concerne principalement des jeunes femmes, en âge d’être mères et avec un taux de fécondité, y compris en France, élevé (de l’ordre de trois enfants par femme) [1]. »
De même, contrairement à leurs habitudes antérieures, les Africains et les Africaines sont de plus en plus nombreux à émigrer vers l’Amérique du Nord. Ceux qui s’y établissent ne viennent pas forcément de la terre de leurs ancêtres. Nombre d’entre eux, installés en Europe auparavant, entreprennent depuis là une seconde immigration.
Ce qu’il faut retenir de la féminisation de l’immigration africaine, c’est que ces femmes font face à diverses difficultés que l’on pourrait qualifier de « spécificités féminines ». Par exemple, dans leur pays d’origine elles bénéficient du soutien de la famille élargie tant dans l’accomplissement des tâches ménagères que dans celui des responsabilités maternelles, ce qui n’est pas le cas dans leur nouveau cadre de vie. Ce changement majeur dans leur existence représente un réel problème, dans la mesure où il implique une véritable perte de repères, dont les répercussions s’étendent à des domaines variés.
Ces difficultés d’intégration ont été évoquées à maintes reprises : « Une fois arrivée ici, a-t-on pu écrire, la femme immigrante qui auparavant partageait ses responsabilités de mère avec tout un réseau familial et institutionnel se voit parachuter l’ensemble de toutes les responsabilités parentales et le bien-être de la famille. Le deuil de sa dépendance vis-à-vis de tout ce réseau n’est jamais fait ou se fait très tard parce que les besoins de la famille sont tellement grands et que les premières années se passent exclusivement dans l’action de la résolution des problèmes urgents [2]. »
La rupture avec le mode de vie habituel, notamment le mode de vie communautaire qui caractérise les sociétés africaines, est une véritable source de stress. Sans compter que l’isolement dans lequel ces femmes vivent les fragilise. Et bien entendu, ce « dépaysement » leur cause bien des désagréments dans l’ensemble de leur vie quotidienne. Il peut notamment avoir des incidences négatives dans le cheminement scolaire de celles qui ont choisi de retourner aux études. D’autres facteurs contribuent aussi à déstabiliser ces femmes : la grossesse et l’arrivée d’un bébé qui leur apportent des préoccupations supplémentaires.
Par ailleurs, celles qui sont en attente de régularisation de leur situation administrative avec les services d’immigration se retrouvent dans une extrême fragilité. Durant cette période, plusieurs d’entre elles reconnaissent avoir subi de la violence antérieurement. Sur le plan de la violence conjugale, force est d’admettre que, pour des raisons culturelles, le seuil de tolérance est très élevé chez ces femmes. La perception de la violence conjugale est différente de celle qui a cours dans le pays d’accueil dans la mesure où certaines formes de ce fléau, par exemple la violence psychologique et la violence économique, ne sont pas souvent considérées au même titre que la violence physique et sont sous-évaluées.
Tout compte fait, l’intégration dans une société nouvelle exige des réajustements et de la persévérance. Fort heureusement, après quelques années, les nuages s’éclaircissent…
[2] Teofilovici, citée par Andrée Côté, Michèle Kérisit et Marie-Louise Côté : Qui prend pays, Ottawa, Condition féminine Canada, 2001, p. 126-127.