Éditorial du no. 36
Halte au pillage
Les ressources naturelles du Québec
L’immense territoire du Québec regorge de ressources naturelles et leur exploitation constitue depuis longtemps une part importante de notre économie. Mais au-delà du PIB et des profits gargantuesques des entreprises (nationales ou transnationales) qui « valorisent » nos richesses naturelles, l’histoire nous rappelle qu’il faut mettre quelques bémols sur les avantages que les populations locales ont pu en tirer, que l’on pense aux années Duplessis durant lesquelles le fer de la Côte Nord sortait à un cent la tonne ou encore aux nombreuses rivières à saumons dont l’écosystème a été saccagé par les usines papetières. On devrait alors en tirer des leçons qui nous permettraient de mieux concevoir le développement présent et futur de l’industrie primaire.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Qui contrôle les ressources naturelles au Québec ? Au niveau de l’exploitation brute des ressources, les compagnies minières bénéficient de la Loi sur les mines, qui a préséance sur le droit de propriété foncière et même sur la conservation des territoires. La même loi coloniale sur les mines soustrait de la Loi sur l’accès à l’information les renseignements fournis au ministère des Ressources naturelles, allant des techniques d’exploitation utilisées, des droits versés à l’État, des effets sur l’environnement jusqu’à la réhabilitation des sites.
Au strict point de vue économique, on est en droit de se demander si le jeu en vaut la chandelle : pour chaque dollar que rapporte l’industrie des mines métallifères, redevances et impôts confondus, au gouvernement du Québec, ce dernier en aura retourné 1,50$ en subventions et exemptions fiscales de toutes sortes.
Dans un autre domaine, on se rappellera que les droits versés par l’industrie du bois d’œuvre au Canada sont si dérisoires que les États-Unis exigeaient en 2001 des compensations substantielles (32 %) en vertu de leurs règles anti-dumping. Malgré la conclusion d’un accord bilatéral en 2006, il demeure que, collectivement, on subventionne les compagnies forestières pour qu’elles fassent des coupes à blanc dans notre forêt publique. L’industrie de la transformation primaire au Québec bénéficie également des bonnes grâces de l’État en ce qui a trait à l’utilisation des ressources naturelles. Pensons aux alumineries qui bénéficient tantôt de tarifs préférentiels d’Hydro-Québec, tantôt du contrôle absolu sur le niveau de plans d’eau aussi immenses que le Lac-Saint-Jean pour produire leur propre électricité. Ces industries sont subventionnées et avantagées, au nom du principe sacré de la création d’emplois bien rémunérés. Par contre, des incitatifs pour développer l’industrie de la deuxième transformation, qui créeraient davantage d’emplois, se font toujours attendre...
L’exploitation des ressources naturelles ne se fait pas sans heurts, notamment sur le plan écologique. Hélas les intérêts du capital l’emportent sur les considérations environnementales et de santé publique. De sorte que le gouvernement Charest refuse d’entendre les gens de Sept-Îles inquiets de l’exploitation d’une mine d’uranium à proximité de chez eux. De même, on assure les populations de Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, qui risquent de se retrouver avec des plateformes de forage pétrolier à quelques kilomètres des côtes, que cette industrie est sans danger, même après la marée noire historique du Golfe du Mexique. Dans la Vallée du Richelieu, où l’on retrouve les meilleures terres cultivables du Québec, on fonce à toute vapeur dans l’exploration des gaz de schiste, malgré les problèmes rencontrés ailleurs par les industries cowboys : utilisation de quantités énormes d’eau, empiètement sur les terres agricoles et contamination des eaux souterraines. Pour étouffer la critique, on tiendra des audiences réduites du BAPE, lequel n’a pas le mandat de remettre en question l’exploitation de ce gaz naturel peu accessible, mais plutôt de rendre cette industrie plus acceptable aux yeux du public.
Enfin, il y a lieu de se demander si la population qui vit sur cette formidable montagne de ressources qu’est le Québec a une véritable emprise sur celles-ci. Car ce sont en fait les gens, et non le capital, qui devraient profiter de l’exploitation de ces ressources, non sans avoir mené au préalable une sérieuse réflexion sur les inconvénients sociaux et environnementaux qui en découleront.
À quand une réforme de la Loi sur les mines ? À quand une large consultation sur l’utilisation de la forêt, non pas seulement comme une source de pitounes, mais également dans une vision englobant les sports de plein air, la villégiature, la chasse et la pêche ? À quand des états généraux sur l’énergie, qui pourraient mettre en perspective les projets hydroélectriques, les forages gaziers et pétroliers, mais également le développement d’énergies vertes prometteuses d’avenir (éolienne, solaire, biomasse, marée motrice, etc.) au Québec ? Au regard de l’indéniable succès de l’expérience d’Hydro-Québec, à quand un vrai débat sur la nationalisation de l’exploitation de nos ressources, au lieu de se contenter de ridicules redevances ?
Il y a tout un débat à faire sur le modèle de développement qui doit orienter, régir et encadrer l’exploitation de nos ressources naturelles en fonction des intérêts de la collectivité québécoise et en regard de la préservation de ce bien commun pour les générations futures. Il faut que cesse cette politique de considérer le territoire du Québec comme un Klondike alléchant offert aux compagnies voraces et aux spéculateurs véreux qui ne se préoccupent que de leur profit à court terme.
Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser les pilleurs sévir sans réagir.