Manuel de l’anti-tourisme

No 036 - oct. / nov. 2010

Rodolphe Christin

Manuel de l’anti-tourisme

Pinote

Rodolphe Christin, Manuel de l’anti-tourisme, Montréal, Écosociété, 2009.

Presque une personne sur 10 travaille dans le tourisme, ce qui en fait la première industrie mondiale. Pourtant, voyages et découvertes ne sont l’apanage que d’une infime minorité privilégiée, soit 3,5 % de la population.

Dans ce petit essai d’une centaine de pages, Rodolphe Christin dresse un portrait des coûts et impacts de cette industrie. Dommages écologiques, sociaux, culturels, la liste est longue... Les plages de sable blanc se garnissent d’hôtels, des régions sont asséchées pour répondre aux besoins accrus d’eau courante, les rites et traditions culturelles deviennent un divertissement pour étrangers en quête d’« authenticité ». Paradoxalement, la quête d’aventure et de dépaysement, la recherche de la nature sauvage et des paysages grandioses contribuent à leur destruction, puisque tout, nature et culture, est progressivement aménagé, préfabriqué et standardisé pour garantir le succès de l’expérience touristique. Et les voyages « équitables » ou « humanitaires » ne dérogent pas à cette dynamique de consommation. Au fil des pages, l’auteur expose les mécanismes à l’œuvre derrière l’industrie touristique ; le néocolonialisme, la technocratisation, la folklorisation, l’exportation de l’idéologie occidentale du « développement » qui sert à justifier tant de désastres sociaux et environnementaux.

Ce sombre portrait de l’impact des pratiques de loisir d’une minorité au détriment du reste du monde permet de questionner la société occidentale. Stressé, exploité, endetté, l’individu occidental moderne doit condenser en deux semaines de vacances bien méritées tous ses rêves d’aventure, de découverte, d’évasion et de rencontres. Pourquoi le désir d’aller si loin ? Quels manques cherche-t-on à combler ? L’auteur, grand voyageur lui même, ne propose pas de solution toute faite. Mais il invite à une réflexion. Pour lui, le voyage, c’est avant tout une philosophie, un état d’esprit, une capacité de s’ouvrir aux autres, mais aussi à soi ; à prendre des risques, à se laisser déstabiliser, à sortir de ses normes et cadres habituels, à rencontrer de nouvelles personnes. On peut voyager dans le quartier voisin... Si le voyage est philosophie, le tourisme est économie. L’un explore, l’autre exploite.

Alors que le tourisme est encouragé et de plus en plus abordable, qu’il devient un droit intégré au mode de vie occidental, paradoxalement les voyageurs ont la vie de plus en plus difficile. Les voyages d’aventure pour expérimenter la vie nomade se multiplient, des steppes mongoles au désert du Sahara. Pendant ce temps, les véritables peuples nomades sont stigmatisés et de plus en plus forcés à se sédentariser. Les auto-stoppeurs, gens du voyage, saltimbanques et vagabonds sont vus d’un œil suspect. Le camping sauvage est rendu difficile. Est-on en train « d’organiser le remplacement de la spontanéité sauvage par son produit dérivé préfabriqué de bout en bout ? »

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