Message du Centre de ressources sur la non-violence
Les Forces Canadiennes recrutent-elles de la "chair à canon" ?
Le court "clip" vidéo mis en ligne par la Fédération des femmes du Québec (FFQ) a été jugé blessant par certains parents de militaires morts ou blessés au combat. Les excuses rapides et la modification de la vidéo étaient appropriées.
Les organismes anti-guerre compatissent à leur peine, mais trouvent malheureux qu’ils soient blessés par l’expression « chair à canon » qui, selon le dictionnaire Robert, est une locution familière pour désigner « les soldats exposés à être tués ». Il ne s’agit aucunement d’une insulte mais d’un constat. Car, dans l’armée, tout le monde sait que les simples soldats sont plus exposés à la mort que les membres de l’état-major qui prennent les décisions ou les politiciens qui décident des guerres.
La vidéo tente maladroitement d’explorer les sentiments d’une mère, qui n’aime pas la guerre actuellement en cours, et qui fait face pour une troisième fois au départ de son enfant pour cette guerre impopulaire. L’illustration fait réfléchir et réagir.
« Utilise-t-on nos enfants comme de la "chair à canon" ? ». À notre avis, la question de cette mère actrice garde toute sa légitimité. Même si l’image paraît exagérée, n’oublions pas que la majorité des soldats morts en Afghanistan au service des Forces canadiennes n’avaient pas franchis le cap des 25 ans, et que la version moderne des guerres vise à minimiser les pertes en combattants, quitte à accepter plus de « dommages collatéraux », mort de civils afghans. De fait, des parents de militaires se questionnent, et certains ont d’ailleurs questionnés publiquement les Forces en ce sens. Pour eux, s’engager dans ces polémiques représente un exercice dont ils préfèrent être épargnés. De toute façon, il est important de souligner que les parents ou les familles des militaires ayant eu à subir les affres de la guerre ne sont pas la cible de ce questionnement.
La cible de cette initiative est le gouvernement conservateur minoritaire qui utilise systématiquement les militaires des Forces canadiennes et leurs familles pour promouvoir sa guerre impopulaire et contrer toute opposition. Sans déposer une nouvelle politique de défense au parlement, il applique unilatéralement son plan d’accroissement massif des dépenses militaires. « Le Canada d’abord » est un programme qui prévoit un accroissement de 100 milliards de dollars des dépenses militaires jusqu’en 2025 ; le budget annuel des Forces passera ainsi de 21 milliards actuels, à près de 30 milliards en quinze ans. Déjà, les acquisitions sont en cours avec les chasseurs à capacité nucléaire F-35. Le plus gros contrat de l’histoire du pays !
Mais revenons au " clip vidéo" controversé qui est toujours en ligne, il vise à illustrer trois choses :
1. Le fait que l’actuelle guerre en Afghanistan a servi de justificatif à un accroissement faramineux des dépenses militaires. Ce qui s’est fait par la manipulation, en prétendant qu’il fallait appuyer nos soldats qui allaient secourir les femmes Afghanes. Notre gouvernement dépenserait ainsi des centaines de millions par mois pour prétendument défendre la cause des femmes afghanes, mais a refusé en août 2009 de se dissocier du gouvernement Karsai lorsque ce dernier a passé une loi autorisant le viol conjugal. Ainsi, le véritable enjeu de la guerre est évacué de tous les débats par la manipulation. Les dirigeants évitent à tout prix de parler de la guerre pour le positionnement géostratégique d’un gouvernement ami. De l’assistance au positionnement des puissances occidentales au cœur stratégique de l’Asie centrale. On n’ose pas évoquer que les soldats canadiens servent au positionnement du gouvernement Hamid Karsai entre les richesses en énergies fossiles de la Mer Caspienne et les trois puissances à plus fort potentiel de développement économiques de la planète (La Russie, la Chine et l’Inde), et ce dans l’arrière-cour des défiantes forces iraniennes. Pour le gouvernement, il ne faut surtout pas brouiller les cartes en soulignant la création de l’Organisation de Coopération de Shangai, de plus en plus défiante.
2. Le fait que cette nouvelle orientation offensive de la politique canadienne, combinée aux départs massifs des baby-boomers, a créé une pénurie au niveau des effectifs militaires, et est à la base d’une offensive de recrutement sans précédent fut considéré. Dans le cadre de nouvelles missions de guerre, afin de fournir un nombre important de soldats pour des opérations de combat terrestre, les Forces canadiennes ont lancées une très importante offensive de recrutement. L’ex-commandant des Forces canadiennes Rick Hillier a annoncé l’Opération Connexion qui mobilise toutes les instances de l’armée pour contribuer au recrutement militaire. On vise les proches des militaires, et on mobilise tous le personnel soit plusieurs dizaines de milliers de personnes au pays. Ca ne suffit pas, il faut aussi mobiliser les organismes para-militaires tels que les Ligues de Cadets, les associations d’anciens combattants, certains organismes caritatifs liés à l’armée (amputés de guerre et Légion canadienne) et les nombreuses autres associations de défense dans l’effort de persuasion. Comble de l’aberration, pour son Centenaire, la Marine canadienne tente même d’utiliser les enseignants dès la maternelle.
3. Et finalement le fait que ce coûteux changement de cap dans la politique de défense, qui a un impact sur la vie de tous, se réalise au mépris de la démocratie canadienne. Le gouvernement n’a procédé par aucune étape démocratique pour ce changement à long terme de la politique gouvernementale. Aucun nouveau Livre blanc n’a été déposé pour justifier l’abandon des missions des paix dans le cadre des Nations Unies, aucune étude ni consultation sur les conséquences de cette réorientation vers des actions offensives sous le commandement de l’OTAN n’a été effectué. Aucune opposition n’a pu évaluer les conséquences de ces changements tant dans la politique de Défense, que dans les Affaires Extérieures, qu’au niveau de l’impact sur le Ministère des anciens combattants et sur les familles canadiennes.
Dans cette démarche, le fait que les soldats des Forces canadiennes soient en guerre et que nous devons "supporter nos troupes" a systématiquement servi d’argument bâillon pour museler toute opposition, tout débat et tout questionnement. Même l’opposition politique n’a pas eu le courage de dénoncer cette situation.
Aujourd’hui, la guerre se poursuit. Nous sommes face à un recrutement intensif de nos jeunes grâce à une foule de programmes d’intéressement. Les agences de l’armée, comme les Ligues de cadets sollicitent nos jeunes parfois dès l’âge de 9 ans et généralement à 12 ans et 16 ans, même dans les écoles. On utilise de nombreux incitatifs économiques pour attirer les plus pauvres et les jeunes des régions plus démunies en termes d’activités jeunesse. Les Forces canadiennes mobilisent les efforts des membres de corps enseignants appartenant aux réserves de l’armée, leur donnant l’ordre d’approcher nos jeunes pour les intéresser à la carrière militaire. Les parents doivent-ils garder le silence parce que nos soldats sont au combat ?
On s’entend bien, le métier de militaire n’est pas un métier comme les autres. C’est le seul métier où on est conditionné, entraîné, équipé et payé pour accepter de devoir inévitablement "tuer, ou être tué". L’armée et la guerre, normalement un dernier recours exceptionnel, est dorénavant utilisé comme un outil normal de la politique économique. N’oublions pas qu’à la fin septembre, des parents de militaires morts au combat ont été amenés par les Forces canadiennes en Afghanistan. Le gouvernement Harper les utilise présentement pour demander la poursuite de la présence canadienne après 2012. Qui tente de manipuler qui, ici ?
Nos programmes sociaux disparaissent, nos ressources sont dilapidées et la population canadienne est soumise à d’importantes contraintes économiques. L’abus dans les dépenses militaires peut déstabiliser l’économie d’un pays, et son équilibre social, on a qu’à regarder la situation chez notre voisin du sud. Pendant ce temps, les hauts gradés de l’armée, en symbiose avec l’industrie militaire, s’enrichissent à nos dépens, avec nos impôts. Et nous devrions nous taire ?
Si on saisit bien le message, la Fédération des femmes du Québec ne considère pas les militaires comme de la " Chair à canon ", elle l’a répété à mainte reprise. Elle a simplement le courage d’exprimer haut et fort ce qu’une majorité de québécois expriment en privé. Les Forces Canadiennes, nos hauts dirigeants politiques, les propriétaires d’industries militaires et la hiérarchie militaire recrutent-ils présentement des jeunes soldats, qui servent par la suite leurs intérêts comme s’ils n’étaient que de la simple " Chair à canon ", dans sa version moderne. Pour les organismes opposés à la guerre les familles des militaires sont les secondes victimes de cette guerre, juste après les victimes afghanes innocentes. L’intention de la vidéo n’était certainement pas de les blesser. Les excuses et la modification de la vidéo jugée blessante étaient les gestes appropriés, passons maintenant aux vraies choses.
Les opposants à la guerre pourront-ils, un jour, se prononcer publiquement sans faire face aux salves télévisuelles des nombreux spécialistes « porte paroles » du lobby militaire canadien qui les accusent de "mettre la vie des soldats en péril" ?. Peuvent-ils s’exprimer librement sans être considérés comme des « traîtres à la patrie » ou comme « étant irrespectueux envers ceux qui ont sacrifiés leur vie » ? A quand un débat rationnel, libre de manipulation sur la guerre en Afghanistan ?
Centre de ressources sur la non-violence