Municipalisme
Montréal en quête d’une légitimité
Aux dernières élections municipales à Montréal, le taux de participation de 35 % semblait révélateur du désintérêt de la population montréalaise face à une campagne électorale terne où les enjeux mis de l’avant portaient sur les nids de poule et la propreté. Cette campagne sans intérêt avait permis au maire Gérald Tremblay d’être reportés au pouvoir pour un deuxième mandat, tout en évitant de se prononcer sur les véritables enjeux. Cette bonne vieille tactique adoptée par les politiciens voulant être reportés au pouvoir est bien connue : rester coi, prendre la parole le moins possible en vue de se faire élire à nouveau.
La fin du deuxième mandat du maire Tremblay aura été fort mouvementée. Ce dernier allait occuper, malgré lui, les devants de la scène. Plusieurs cas apparentés à des conflits d’intérêt, du clientélisme ou de la corruption ont montré la duplicité de certains élus et leur trop grande proximité avec les grands promoteurs. Le petit séjour de Frank Zampino, alors qu’il était président du comité exécutif de la Ville, sur le yacht privé de Tony Accurso, propriétaire et actionnaire de nombreuses firmes et consortiums qui obtiennent régulièrement d’importants contrats de la Ville, a révélé au grand jour les pratiques fort douteuses de nos édiles. Ce dernier scandale, toujours sous enquête policière, s’ajoutait à une liste de cas semblables qui s’allonge : des pots de vin reçus par des élus de Saint-Laurent, un bar bien garni à la mairie de l’arrondissement d’Outremont, l’octroi d’un contrat faramineux pour l’installation de compteurs d’eau à GéniAu, une firme dont fait partie Tony Accurso (et oui le même !), la vente à rabais du terrain de Faubourg Contrecœur par la Société d’habitation de développement de Montréal (SHDM), passant outre l’avis des principaux fonctionnaires du Service des transactions immobilières de la Ville (l’épouse du directeur de la SHDM était membre du comité exécutif de la Ville), et la fraude au service informatique.
De nouvelles donnes sur la scène municipale montréalaise
Nouvelle Vision Montréal
La décision de Louise Harel, ancienne ministre des Affaires municipales et de la Métropole et ancienne députée du Parti québécois dans Hochelaga-Maisonneuve, de se porter candidate à la mairie de Montréal a été perçue par certains comme une « bouée de sauvetage ». En effet, tellement désenchantés et découragés par le blocage qui prévaut sur la scène municipale, et face à la perspective où le maire Tremblay semblait avoir le chemin libre pour un troisième mandat, certains militants et observateurs ont applaudi l’arrivée de cette politicienne aguerrie. Peu importe, semble-t-il, sa responsabilité dans le fiasco de la réforme municipale et dans la façon dont son gouvernement a imposé cette réorganisation municipale, et peu importe qu’elle ait choisi le parti populiste de droite Vision Montréal, autrefois dirigé par Pierre Bourque, la politicienne d’expérience leur semble une option intéressante pour contrer le marasme ambiant qui s’est installé à l’hôtel de ville.
Certes, la dame d’Hochelaga-Maisonneuve possède les caractéristiques d’une politicienne aguerrie. Animal politique, elle est rompue à l’exercice du pouvoir et aux exigences de la vie politique. Elle fait preuve d’un pouvoir de persuasion, d’une excellente connaissance du fonctionnement des médias et d’un sens quasi à toute épreuve de l’organisation. À preuve, l’annonce de sa candidature à la mairie de la Ville sous la bannière de Vision Montréal à quelques jours de la tenue du cinquième Sommet citoyen de Montréal. Cette tribune, organisée par des groupes de la société civile prônant la démocratie participative, allait être pour celle qui appelait de ses vœux la création d’un large mouvement citoyen montréalais l’occasion idéale de se faire entendre publiquement pour la première fois à titre de candidate à la mairie tout en s’assurant une couverture médiatique importante. Un bon coup pour madame Harel ! Autre preuve de l’expérience de l’animal politique s’il en faut : sa capacité et sa rapidité à mettre en place six chantiers de travail, chacun dirigé par des experts des études urbaines, dont l’objectif vise à définir les principales orientations du développement qu’elle entend mettre de l’avant. Enfin, force est de constater sa capacité à s’entourer de candidates connus : Réal Ménard, député du Bloc québécois, candidat à la mairie de Hochelaga-Maisonneuve, la directrice générale de l’organisme communautaire Les fourchettes de l’espoir dans Montréal-Nord, Brenda Paris, ancienne présidente du parti Union Montréal et militante municipaliste de longue date, dans Côte-des-Neiges, Notre-Dame-de-Grâce et David Hanna, professeur d’études urbaines et touristiques à l’UQAM et spécialiste des questions d’aménagement et de patrimoine.
Il est indéniable que Louise Harel a la capacité de rassembler autour d’elle une équipe de personnes compétentes et d’experts, ce que n’aurait su faire Benoît Labonté. Mais ce réaménagement ou cette redéfinition du parti Vision Montréal représente-t-elle une réelle alternative à la lente et progressive privatisation de la ville ? Comment madame Harel et son équipe se positionneront-ils face aux élites économiques de Montréal et du Québec qui aspirent à faire de Montréal une « ville internationale » accueillante pour les investisseurs de tout acabit ? Quelles seront leurs réponses face aux projets d’envergure envisagés par les Devimco de ce jour, qui n’ont de préoccupations que les profits qu’ils sauront tirer de la « revitalisation » et de la gentrification des quartiers auxquelles ils auront contribué ?
Projet Montréal
Quant au jeune parti Projet Montréal, celui-ci poursuit son travail de fond. Dans plusieurs arrondissements, ce parti a mis en place des comités locaux qui regroupent de jeunes militantes dotés d’énergie et de bonne volonté. Son chef, Richard Bergeron, seul élu au conseil municipal, semble gagner de l’expérience. Une meilleure compréhension du rouage politique et administratif de la Ville lui permet de saisir les opportunités qui se présentent. À titre d’exemple, les pratiques douteuses de l’administration Tremblay lui ont permis de soulever la question de l’éthique et celle du financement des partis politiques municipaux. On ne peut que le féliciter de son association avec le juge Gomery. Toutefois, il faudrait qu’il sache multiplier les bons coups. Car le programme de son parti, fort stimulant il est vrai, risque de moins se démarquer lorsque les spécialistes alliés à Madame Harel feront connaître les orientations de leur parti.
Comme on le sait, un parti politique ne se construit pas en un jour. Malgré l’appui formel qu’il a obtenu de Québec solidaire, Projet Montréal devra convaincre non seulement les militants écologistes, mais plus largement les militants des mouvements urbains montréalais et des mouvements sociaux en général, ce qu’il n’a pas encore réussi à faire. Plus encore, il devra développer des alliances s’il veut un jour faire une percée significative et rejoindre un large public. Car le découpage de la ville en arrondissements et le système électoral permettent aujourd’hui de développer une stratégie électoraliste d’arrondissement, ce que ne semble pas encore avoir saisi Richard Bergeron.
Des enjeux occultés... et des projets douteux
À droite comme à gauche, tous en conviennent, Montréal a besoin d’un nouveau souffle. Dans certains quartiers de Montréal, comme Pointe-Saint-Charles, Montréal-Nord ou St-Michel, 40 %, voire parfois 50 % des ménages, vivent sous le seuil de faible revenu. Selon une estimation de l’Office municipal d’habitation de Montréal, reprise par le FRAPRU, 22 775 personnes attendent pour avoir accès à un logement social. Le coût des loyers à Montréal a connu une augmentation moyenne de 16,1 % en 2006 alors que la hausse des salaires pour la même période était plus faible : 37 % des ménages allouent plus de la norme de 30 % de leur revenu au loyer (Dossier noir FRAPRU).
Par ailleurs, certains secteurs comme Montréal-Nord font face à des besoins importants en matière d’infrastructure, d’équipements collectifs pour rencontrer les besoins de la population. Enfin, cette métropole qui accueille la plus grande part des immigrants arrivant au Québec, continue de se diversifier alors que les pratiques de profilage racial font toujours partie de l’arsenal des interventions policières.
Pour mettre Montréal sur la mappe, les « lucides montréalais » misent sur une stratégie de grands projets urbains. Réussir Montréal 2025, la « stratégie » de développement économique de la Ville ressemble à un « scrap booking » mis de l’avant par les promoteurs du secteur privé. Les candidatEs sauront-ils aborder ces enjeux de fond plutôt que de se contenter de parler de l’éternelle question de déneigement ou de changement de noms de rue ? Et sauront-ils respecter les instances et mécanismes du dispositif de participation publique qu’ils ont eux-mêmes mis en place ?
Créer une véritable alternative
En juin dernier, avait lieu un cinquième Sommet citoyen de Montréal qui rassemblait un millier de citoyenNEs organisés et non organisés. Porté par un regroupement de près d’une vingtaine de réseaux d’organismes communautaires et syndicaux, ce forum social montréalais a permis d’échanger et de débattre de La ville que nous voulons, sous les angles économique, écologique, de justice sociale et d’inclusion, de démocratie, de culture et d’aménagement. Synthétisés dans un Agenda citoyen, les grands principes et les valeurs qui animent des centaines de MontréalaisEs permettront d’interpeller les candidatEs des divers partis. Le mouvement urbain qu’il représente est parvenu à un moment critique.
La tenue de sommets ne suffit pas en soi à assurer une présence active du mouvement urbain montréalais. Les MontréalaisEs qui ont à cœur le sort de leur ville doivent s’engager activement. Lors de la prochaine tenue du Forum social québécois, ils seront conviés à un grand rendez-vous pour discuter de la création d’un large mouvement citoyen montréalais pluriel. Saura-t-il se constituer en une nouvelle force de frappe dans le paysage montréalais ?