L’indépendance - Laquelle ? Pour qui ?
Réinventer le social dans le national
Pendant longtemps, les mouvements progressistes québécois se sont battus pour un projet d’émancipation à la fois social et national. Dans les années 1960, c’était la gauche qui mettait de l’avant un projet indépendantiste et socialiste pour briser la structure quasi coloniale qui dominait le Québec, et cela, dans une perspective anticapitaliste et anti-impérialiste. Quant le PQ est apparu dans le décor, il y a eu comme une déconnexion entre les deux dimensions, sociale et nationale. Libéral dans le sens philosophique du terme, le PQ, sous l’égide des Lévesque et Parizeau, voulait en bout de ligne « un État normal et capitaliste », même si ses dirigeants étaient sensibles aux pressions de ceux et celles, les syndicats notamment, qui voulaient que ce parti approfondisse les réformes entreprises pendant la révolution tranquille. Plus tard, après la défaite du premier référendum, le PQ est rentré dans le rang, effectivement, comme défenseur de l’autonomie provinciale d’une part, et comme « bon gestionnaire » du néolibéralisme d’autre part.
À qui appartient la « question nationale » ?
Une fois revenu au pouvoir en 1994, le PQ a fait une deuxième tentative de référendum, mais il a échoué. Fait à noter, les élites québécoises sont devenues confortables dans leur statut de « bourgeoisie » et donc craintives de rompre le lien avec l’État canadien. En réalité, cette élite devenue « Québec Inc. » demeure subordonnée aux secteurs dominants du Canada et des États-Unis, mais elle dispose d’une base financière et politique réelle qui lui permet d’espérer se faire une place au soleil du capitalisme néolibéralisé.
Devant cela, les classes populaires, qui ont majoritairement apporté un appui critique au PQ, s’interrogent. Certes, le gros bon sens dit toujours qu’il faut battre la droite. Mais aujourd’hui par contre, ce sentiment que le PQ est le « moins pire » s’effiloche. À vrai dire, le PQ lui-même est en crise profonde, incapable de trancher entre une tendance social-démocrate plutôt timide et les « Lucides » qui voudraient « recentrer » le parti vers la droite. Il ressort de tout cela qu’un nouveau projet d’émancipation sociale et nationale doit prendre forme, et cela devra se faire à l’extérieur du PQ.
Sortir du cercle vicieux
Dans le passé, les mouvements populaires ont fait preuve à plusieurs reprises de courage et d’imagination. Le mouvement des femmes a remis au centre de l’agenda la question de la pauvreté et de l’exclusion (Marche des femmes). Coalisés dans une grande alliance, les mouvements se sont approprié la perspective altermondialiste (Sommet des peuples). Ils ont bloqué les « réformes » de Charest (grèves de 2003). Les mouvements étudiants ont repris le flambeau (2005). Parallèlement, un nouveau projet politique a pris forme autour de Québec solidaire. Les enjeux sont actuellement immenses, car les élites québécoises, comme les élites canadiennes, veulent faire payer la crise aux classes populaires. Mais même si un certain défaitisme se sent ici et là, l’heure n’est pas à la capitulation.
Nos défis
Dans ce contexte, le projet d’une Assemblée constituante mis de l’avant par Québec solidaire apparaît comme une excellente idée, dans le but de refaire un nouveau consensus progressiste. La question nationale, du moins d’un point de vue de gauche, est une dimension de la question sociale (et non l’inverse). C’est l’élan d’émancipation des classes populaires qui doit porter un projet de refondation d’un État républicain, inclusif, respectueux des droits politiques, mais aussi sociaux et économiques. Il y a plusieurs grands défis donc qui se posent pour une telle refondation et j’en mentionnerai seulement quelques-uns.
• Refonder la « nation populaire »
La nation est un construit, un acte politique et idéologique, et non une donnée « immuable » ou définie par quelques traits « essentiels » (ethniques ou seulement linguistiques). Aujourd’hui, notre « nation » doit être définie comme un « acte » mobilisateur et symbolique et inclure tous les citoyens et citoyennes qui habitent le territoire. Nous devons nous opposer totalement à ces fractures imposées par la gestion néolibérale et à ce qui en découle, un nationalisme ethnique, de droite, diviseur. La lutte pour inclure dans notre construction nationale nos frères et sœurs venus d’ailleurs est fondamentale. Une nouvelle définition de la nation ne peut venir du « sang » des ancêtres, mais par l’adhésion à un projet populaire, alternatif, démocratique.
• Ensemble avec les peuples amérindiens
Nous ne sommes pas propriétaires du territoire qui s’appelle le Québec, mais copropriétaires. Les peuples amérindiens ont autant de droit que nous sur cette terre. Et attention, on ne réglera pas cette question en mettant un peu plus d’argent dans les programmes financés par les profits hydro-électriques et miniers réalisés sur leur dos. C’est une question éthique, mais aussi politique : sans cette alliance avec les peuples amérindiens, nous ne parviendrons pas à battre en brèche les élites qui vont nous jouer les uns contre les autres, en gardant à l’œil les gigantesques ressources qui sont localisées dans le nord. De plus, cette nécessaire cogestion avec les Amérindiens nous oblige à sortir du cercle vicieux de la « croissance pour la croissance », de la destruction de l’environnement au nom du « progrès » et de l’enfermement dans le consumérisme, socle de l’individualisme possessif qui fonde le capitalisme.
• Lutter avec le peuple canadien
Il faut, appelons cela pour être provocateur, une « souveraineté – association » populaire et de gauche avec le peuple canadien. Bien que notre nation québécoise ait la capacité et le droit d’établir un État indépendant, nous allons rester voisins, et dans une large mesure partenaires, du peuple canadien, par l’histoire, la géographie et l’économie, et également par une volonté commune de s’opposer aux velléités hégémoniques des États-Unis. Si cette dimension n’est pas appropriée, il y a un risque élevé que l’Empire états-unien cherche à s’immiscer davantage et à appuyer les élites canadiennes et québécoises dont on connaît la propension à se subordonner. Le projet d’émancipation sociale et nationale d’aujourd’hui ne peut être limité à constituer un État ou une nation « comme les autres ». Certes, il faudra avec nos partenaires canadiens identifier les « formules » qui rendront cette solidarité réalisable, mais en attendant, nous devons rester fortement et réciproquement solidaires des luttes populaires au Canada et au Québec contre des élites qui sont par ailleurs les « nôtres ».