Présentation du dossier du no. 31
L’indépendance - Laquelle ? Pour qui ?
La question nationale n’est pas nouvelle : elle traverse d’une certaine manière l’histoire du Québec depuis les origines prenant à l’époque contemporaine la forme d’un projet indépendantiste maintenant revendiqué depuis près de 50 ans et toujours non accompli. Si bien que pour plusieurs, cette question est devenue lassante en raison même de son irrésolution.
En la réactivant, en consacrant un dossier au projet québécois d’indépendance, nous voulions « dérégler » une question manifestement « réglée » dans l’esprit de plusieurs et la problématiser dans une perspective de gauche sans savoir à quelles conclusions mènerait une telle entreprise. Nous ignorions alors que les contributions réunies ici témoigneraient d’une véritable appropriation critique et d’un effort de redéfinition du principal projet collectif ayant marqué le Québec des 50 dernières années.
Cette appropriation suppose non seulement de creuser la rupture avec le péquisme et le souverainisme, avec le nationalisme et le néolibéralisme qui les marquent, mais aussi de renverser la tendance qui soumet tout projet de construction d’une société plus juste et plus égalitaire à l’exigence prioritaire de l’accession à la souveraineté. L’indépendance, à l’inverse, est presque toujours pensée ici dans le cadre d’un projet social fondé sur les valeurs de justice, d’égalité, d’autonomie et de démocratie radicales.
Les raisons à la base des efforts de transformation du monde ayant parfois changé de forme avec le monde lui-même, plusieurs motifs traditionnels de l’indépendantisme – le « colonialisme », la domination canadienne-anglaise, les injustices subies par les Canadien·nes français·es, la non-reconnaissance de la nation québécoise, etc. – font place ici à des questions recoupant les préoccupations des différentes gauches actuelles : la globalisation capitaliste (Bernard Rioux, Pierre Beaudet), la souveraineté populaire (Ricardo Peñafiel, Martin Jalbert, François Cyr), le caractère plurinational de la société québécoise (Gilles Bourque), l’intégration socioéconomique des immigrant·es (Ruba Ghazal, Laurent-Medhi Chokri), les luttes des Premiers peuples (Jeanne-d’Arc Vollant), le monde commun à la base d’une communauté humaine (Éric Martin).
Des désaccords, on le verra, s’esquissent ici et là sur des questions abordées dans toute leur extension et leur complexité : Qu’est-ce qui fait un peuple, une nation ? Quelle(s) communauté(s) serait (seraient) sujet et objet de l’indépendance ? Les réponses varient d’un texte à l’autre et ces divergences aussi nous réjouissent, montrant bien qu’il n’y a pas de réponse unique à de telles interrogations.
Les pages qui suivent apportent aussi plusieurs éléments de réponse à des questions qui pourraient jalonner les débats à venir sur la réalisation d’un nouveau pays indépendant : Quelle indépendance ? À quelles fins ? Et pour qui ? Ces éléments s’accompagnent souvent de propositions tournées vers « un autre monde possible » et capables de relier entre elles différentes luttes contemporaines. Bien entendu, ces propositions n’auront un impact que dans la mesure où elles ne se résumeront pas à l’attente du grand soir indépendantiste et où elles seront relayées par l’action de ceux et celles qui travaillent quotidiennement à la construction d’un monde plus juste.