L’indépendance - Laquelle ? Pour qui ?
Relever le défi de l’immigration
Il est difficile aujourd’hui d’évoquer la question nationale en lien avec l’immigration sans avoir en tête les tristes paroles prononcées par Jacques Parizeau le soir du 30 octobre 1995. Les « votes ethniques » et le « nous » lancés dans le discours du premier ministre de l’époque avaient un goût amer pour bien des Québécoises, souverainistes ou pas.
Plus de 10 ans plus tard, on aurait pu croire que le discours du eux-nous était loin derrière. Mais la crise des accommodements, vécue comme une crise identitaire, a démontré qu’il y a encore au Québec un terrain fertile pour le nationalisme ethnique qui a ressurgi dans le discours de certaines intellectuelles québécoises. Et voilà que le PQ se met de la partie en cessant la discussion avec le peuple sur son avenir politique pour s’égarer sur des chemins de traverse comme la loi sur l’identité québécoise ou la souveraineté étapiste nouvelle mouture.
Les débats sur l’identité ont pris tellement de place depuis 2007 qu’un Martien qui aurait atterri au Québec aurait pu penser que l’idée même de classe sociale était disparue. Comme si les pauvres, les riches et la classe moyenne avaient cédé la place aux divers « nous » se côtoyant sans se connaître : les francophones, les anglophones, les Autochtones et les communautés culturelles. Cette vision étriquée de la société québécoise encourage chacun à se replier sur ses origines ethniques comme si elles étaient les seules composantes de son identité. N’eut été de la crise économique, on aurait oublié que les pertes d’emploi et la précarité grandissante du marché du travail sont des maux qui touchent de bien plus près et plus durement la population que le soi-disant danger de l’immigration massive sur l’identité québécoise.
Alors qu’il est de plus en plus démontré que le vote des personnes issues de l’immigration, et plus particulièrement celui des enfants de la loi 101, ne peut plus être pris pour acquis par les partis fédéralistes, les perceptions sur les « votes ethniques » n’ont pas changé depuis 1995. On se plaint que les nouveaux arrivants ne comprennent pas les aspirations nationales de la majorité francophone, mais on évite de se poser les bonnes questions.
Les vraies questions
Comment rendre le projet d’indépendance enthousiasmant pour les immigrantes lorsque les partis souverainistes traditionnels ne font plus rêver le peuple depuis des années ? Ce peuple, toutes origines con-fondues, a-t-il son mot à dire sur l’avenir politique du Québec ? Et comment transformer le débat constitutionnel en un projet rassembleur et porteur d’avenir ?
Ce qui manque dans le discours ambiant sur la souveraineté, c’est l’essence qu’on donne au projet. La souveraineté pour faire quoi ? Pour obtenir une revanche sur le passé qui a vu souffrir des générations de Canadiens français « nés pour un petit pain » ? Pour « créer » de la richesse sur le dos des plus démunies, ceux et celles qui vivent dans l’insécurité ? Pour continuer à voir le taux de chômage des immigrantes et de leurs enfants honteusement plus élevé que celui de la moyenne québécoise (près de 30 % chez les Québécoises d’origine maghrébine !) ? Alors que le Québec est la province qui détient le plus de pouvoir en matière d’immigration au Canada, les ressources pour l’intégration manquent cruellement. La souveraineté n’est pas une solution au manque de volonté politique.
Cependant, il est vrai qu’un Québec indépendant aurait le mérite de faire savoir aux nouveaux arrivants où ils mettent les pieds. On peut s’attendre à ce que ces derniers ne soient plus pointés du doigt en tant que menace à la survie de la langue française. Quant au malaise identitaire, il serait moins vif et on risquerait à tout le moins d’éviter de vivre un drame national la prochaine fois qu’une Québécoises de confession musulmane refuserait de manger du porc à la cabane à sucre.
Bien sûr, l’histoire, la culture, la langue et l’identité d’une nation sont des éléments qui font partie intégrante de la question nationale et sans lesquels le projet d’indépendance n’aurait plus sa raison d’être. Cependant, il serait faux de prétendre que la souveraineté n’est que cela. Par exemple, comment faire pour que des individus n’ayant pas la même histoire puissent se reconnaître dans le projet d’indépendance du Québec et s’approprier la question nationale ?
Un Québec démocratique et pluriel
Le drame est qu’un grand nombre de nouveaux arrivants ne se sentent pas concernés par la souveraineté. Ils ne veulent plus de chicanes ni de divisions qui rappellent de mauvais souvenirs du pays d’origine. Ils se sentent seuls avec leurs problèmes : intégration socioéconomique, reconnaissance des diplômes, racisme et discrimination, apprentissage d’une nouvelle langue, etc.
Et pendant ce temps, plusieurs essaient de trouver LA stratégie qui leur fera vivre le grand soir de leur vivant. On parle d’élection référendaire, de gouvernance souverainiste, de citoyenneté québécoise exclusive.
Et si on parlait de démocratie ? Si on parlait d’un débat collectif et inclusif sur la question nationale et sur le projet de constitution qui définirait le Québec dans lequel nous voulons vivre ? Un débat où se tiendraient des discussions franches, ouvertes et inclusives et où les Québécoises, toutes origines confondues, auraient la possibilité d’exercer réellement leur citoyenneté en exprimant leurs opinions et idées, mais aussi leurs craintes et inquiétudes. La seule stratégie souverainiste gagnante aujourd’hui est celle de sortir la question nationale du discours partisan et de la redonner au peuple.
Ce débat donnerait une chance à la question nationale de sortir une fois pour toutes des ornières ethniques et passéistes dans lesquelles on l’enferme dès qu’une crise pointe son nez. Il aurait aussi pour mérite d’amener la discussion autour des valeurs qui nous rassemblent au lieu du traditionnel débat manichéen qui oblige chacun à choisir son camp et duquel plusieurs se sentent exclus. La souveraineté du Québec sera un projet pluriel et démocratique ou ne sera pas.