Gagner sa vie sans la perdre
TUAC contre Walmart
David contre Goliath
Walmart, contrairement à Costco qui vise la clientèle de la classe moyenne, s’est établi au point de départ dans les régions pauvres des États-Unis et s’adresse particulièrement aux familles qui se situent au bas de l’échelle des revenus, en leur offrant des produits à bas prix. Pour ce faire, la multinationale contraint les fournisseurs à livrer aux magasins, à des prix bas et déterminés, les marchandises prévues dans des délais fixes afin d’assurer une rotation rapide des stocks. Elle combat également toute syndicalisation, exerce un contrôle absolu sur l’organisation du travail et impose à ses employés des salaires se modulant sur le salaire minimum obligatoire, lorsqu’il y en a un. Ses travailleurs, qu’elle cherche à amadouer en les qualifiant d’associés, sont recrutés majoritairement parmi ceux qui sont marginaux dans l’économie familiale : jeunes en âge d’étudier, retraités, travailleurs précaires, etc.
Walmart est surtout présent, faut-il s’en étonner ?, dans les pays où les investissements sont libres comme l’air, ceux de l’ALÉNA : États-Unis, Mexique et Canada. Grâce à un système privé de télécommunication par satellites, l’ensemble des magasins et leurs rapports avec les fournisseurs sont régis par le siège social situé dans une petite ville d’Arkansas, Bentonville. La création de conteneurs, porteurs de marchandises, qui peuvent indifféremment circuler sur des bateaux, des trains et des camions, a favorisé l’éclosion de manufactures en Chine où une classe ouvrière grandissante vit dans des conditions semblables à celles qui sévissaient en Angleterre au XIXe siècle (lire Nelson Lichtenstein et Susan Strasser, Walmart. L’entreprise-monde, Éd. Les prairies ordinaires). Les ouvriers chinois se débattent et vont apprendre à mieux se battre, en dépit de la domination des syndicats par un État dictatorial.
Dans les pays industrialisés et riches, des alliances se mettent en place pour lutter contre les sweat shops, dont celles de Chine, comme la Coalition québécoise contre les ateliers de misère (CQCAM). Mais elles n’influencent pas Walmart, sauf indirectement, en alertant l’opinion publique sur les manufactures misérables auxquelles, malgré ses déclarations vertueuses, s’abreuve cette multinationale des bas prix. Des écologistes affrontent également ces magasins qui vident le centre des petites villes, ruinent ses commerçants et favorisent un habitat urbain centré sur l’usage de l’automobile. Mais les adversaires les plus coriaces de Walmart sont les syndicats, particulièrement l’United Food & Commercial Workers (UFCW) aux États-Unis et son affilié canadien, les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC).
David contre Goliath
Au Québec, les TUAC (FTQ) obtiennent en 2004 l’accréditation des travailleurs du magasin de Jonquière, en déposant des cartes d’adhésion représentant la majorité des employés. Six mois plus tard, en avril 2005, le commerce ferme, alléguant, sans preuve, une situation financière difficile. Les TUAC ont déposé un grief devant le tribunal du travail pour congédiement illégal. À la fin de septembre cette année, l’arbitre Jean-Guy Ménard a rendu sa sentence : Walmart avait le droit de fermer son magasin, mais n’ayant pas démontré qu’il était déficitaire, elle a agi illégalement en modifiant les conditions de travail de ses employés durant la première convention collective. Walmart devra donc compenser financièrement ses ex-employés pour ce licenciement illégal. Mais cette multinationale du commerce en détail, refusant ce jugement, a déposé devant la Cour supérieure une demande de révision judiciaire.
Les TUAC avaient également emporté l’accréditation des six travailleurs de l’atelier automobile du Walmart de Gatineau. Les parties n’arrivant pas à s’entendre, Me Alain Corriveau, du ministère du Travail, a imposé en août 2008 une convention collective, conformément à ce que prévoit le Code du travail du Québec en cas de mésentente pour une première convention. L’atelier a fermé ses portes deux mois plus tard, Walmart jugeant « irréaliste » le règlement.
En janvier 2005, avant donc la fermeture du magasin de Jonquière, les TUAC obtiennent l’accréditation pour les travailleurs du Walmart de St-Hyacinthe. Après quatre ans de contestations judiciaires, de négociations et de médiation, le même arbitre, Me Corriveau, impose en avril de cette année une convention collective, les 180 employés de St-Hyacinthe devenant les premiers et seuls travailleurs d’un grand magasin de Walmart couverts par une convention collective en Amérique du Nord.
Le syndicat a récolté des gains qui limitent l’arbitraire patronal, dont des droits d’ancienneté, notamment sur les promotions, une procédure de griefs, le droit des gérants des départements d’être en congé certains week-ends, quatre semaines de vacances après 10 ans d’ancienneté (Walmart a étendu à l’ensemble de ses magasins canadiens cette politique, la présentant comme un signe de sa générosité et dissimulant qu’elle est le fruit d’une négociation) et une échelle salariale libérée du favoritisme. L’employeur a toutefois gagné un gros morceau : l’arbitre, craignant sans doute une répétition de l’épisode de Gatineau, a adopté, pour la politique salariale, la position patronale (la comparaison avec Zellers, dont la très grande majorité des magasins ne sont pas syndiqués) contre la position syndicale (Maxie et Cie qui est largement syndiqué). Cependant, le syndicat a arraché une augmentation salariale de 0,30 $ de l’heure pour chaque employé et a soumis à la procédure de griefs l’évaluation patronale des mérites de chacun qui conditionnait jusqu’ici les augmentations individualisées de salaire. Il faut néanmoins prévoir que Walmart, alléguant que les travailleurs n’ont pas obtenu les augmentations de revenus espérées, entreprenne une campagne de désyndicalisation.
La multimilliardaire Walmart se paie les services de la firme d’avocats Heenan Blaikie, dans laquelle œuvrent, entre autres, Jean Chrétien et Pierre-Marc Johnson, la même firme qu’a engagée McDonald’s pour briser la syndicalisation de leurs restaurants. Mais les TUAC, malgré des moyens financiers limités, refusent de s’écraser, eux qui se dépensent pour syndiquer les travailleurs migrants latinos, exploités par nos producteurs agricoles avec l’appui de notre gouvernement.