L’indépendance - Laquelle ? Pour qui ?
Le poids de l’héritage
Indépendance et traités internationaux
L’accession à l’indépendance de territoires non indépendants est une constante dans l’histoire. Potentiellement porteurs d’effets déstabilisateurs dans le monde, ces développements, en général, ne laissent pas indifférente la communauté des États. D’où l’élaboration, au fil du temps, de textes juridiques pour encadrer ce mouvement d’autonomie. Leurs dispositions sont alors immanquablement évoquées pour tenter de répondre à quelques-uns des nombreux problèmes soulevés à cette occasion. On peut donc en déduire, advenant l’indépendance du Québec, que se posera, entre autres questions, celle de l’applicabilité au nouvel État (État successeur) des traités internationaux signés par le Canada (État prédécesseur). Quelles sont les principales dispositions du droit international public en la matière ? Quelle est la marge de manœuvre d’un nouvel État ? Mais avant tout, nous devons clarifier les raisons qui ont mené à la mise en forme de ce cadre juridique. Nous serons brefs.
La cohésion du système mondial
La mise en relation des différentes régions du monde sous l’action du processus de valorisation internationale du capital a résulté en la constitution du monde en système mondial, un système où les relations de toutes les parties sont à ce point liées que les problèmes de reproduction se posent impérativement. Dès lors, la mise en place de mécanismes de régulation devient une condition du savoir vivre ensemble. L’imprévisibilité des relations internationales est dans cette perspective intolérable. Il faut donc, coûte que coûte, et dans la mesure du possible, la neutraliser. Toute une série d’initiatives révèlent ce souci, parmi lesquelles la création d’organisations internationales et l’adoption de conventions internationales. Hauts lieux de mise en forme et de circulation de nouvelles normes, les organisations internationales contribuent de ce fait au renforcement de la cohésion du système mondial. Tout comme d’ailleurs les textes juridiques élaborés au fil des ans.
À ce titre, l’adoption, en 1978, de la Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de traités et, en 1983, de la Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de biens et de dettes relève de cette démarche. Ces deux conventions, on le devine, sont des textes de référence pour les situations qui nous intéressent. Particulièrement celle de 1978. Quels cas recouvre-t-elle ? Quelles sont ses dispositions les plus pertinentes pour un Québec indépendant ? De quelle marge de manœuvre dispose un éventuel État-successeur ?
Des dispositions contraignantes
En matière de succession d’États, les cas de figure vont de la sécession à la dissolution d’un État, en passant par la cession d’une partie du territoire d’un État à un autre État et l’unification de deux ou plusieurs États avec création d’un nouvel État. Des clauses spécifiques à chaque situation sont prévues, qui définissent la liberté d’action des dirigeants du nouvel État dans ses relations internationales, notamment en ce qui concerne les traités.
Dans l’éventualité d’une sécession, c’est-à-dire la séparation d’une partie du patrimoine d’un État préexistant qui laisse celui-ci subsister, c’est l’article 34 de cette Convention qui s’applique. Il y est stipulé clairement que : « Tout traité en vigueur à la date de la succession d’États à l’égard de l’ensemble du territoire de l’État prédécesseur reste en vigueur à l’égard de chaque État successeur ainsi formé. » Dès lors, les dirigeants du nouveau pays sont obligés d’y conformer leur action. Cette contrainte joue également dans les situations où les traités en question étaient en vigueur « à l’égard uniquement de la partie du territoire de l’État prédécesseur qui est devenue un État successeur. » Ces traités restent alors en vigueur à l’égard de cet État successeur seul (article 34). Voilà qui réduit considérablement la liberté de tout État sécessionniste. À moins que, tel que l’établit le paragraphe 2 de l’article 34, les parties intéressées n’en conviennent autrement ou qu’il soit établi que l’application du traité est incompatible avec l’objet et le but du traité.
Toutefois, d’autres éventualités, telle la participation à des traités non encore en vigueur à la date de la succession d’États, en cas de séparation de parties d’un État (article 37), sont envisagées par la Convention. Cela ne change pas, cependant, le sens global des prescrits de ce document pour ce qui est des situations qui nous intéressent.
Nous devons pourtant convenir que la non-ratification de la convention par le Canada change les perspectives. Un Québec indépendant serait théoriquement exempté de l’application des dispositions de la Convention. Théoriquement, parce que la pratique récente des États en la matière montre que « la stabilité et la sécurité des relations internationales sont mieux assurées par le principe de continuité ou de succession que par le principe de rupture. » Tout dépend alors du rapport de force et de la détermination des États concernés.
Les préoccupations de sécurité juridique dans les relations internationales sont contraignantes. Elles interdisent les pratiques menaçantes pour la reproduction du système mondial. Accords et conventions internationaux, forts de leur adoption et de leur ratification, contribuent à cette fin en définissant le cadre à l’intérieur duquel se déploient les relations interétatiques. Un Québec indépendant pourrait-il faire fi de cette coutume ?