Justice
Une loi anti-slapp avec des dents
En juin 2009, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 9 qui modifie le Code de procédure civile afin de donner aux juges le pouvoir de réprimer et de punir les instigateurs de poursuites-
bâillons [1] Résultat d’une lutte exemplaire, ces dispositions ne demandent qu’à être appliquées vigoureusement.
Amorcée en 2005 par l’Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA), la campagne « Citoyens taisez-vous » a réussi à attirer l’attention du public et à interpeller suffisamment le ministre de la Justice de l’époque, Jacques Dupuis, pour que celui-ci se sente obligé de commander une étude exhaustive à trois éminents professeurs de droit. Ces juristes ont pondu un rapport d’une telle qualité que le ministre n’a eu d’autres choix que d’écouter les groupes qui soulevaient – et vivaient – les multiples possibilités d’abus de la procédure judiciaire. La campagne de mobilisation, qui a exercé une pression constante sur les parlementaires, a aussi inspiré nos amiEs des autres provinces canadiennes.
Le projet de loi adopté contient la plupart des éléments souhaités : rapidité de l’intervention du tribunal pour rejeter ou encadrer la poursuite ; possibilité d’obliger le poursuivant à avancer de l’argent au défendeur pour tenter d’équilibrer les ressources ; report sur les épaules du poursuivant du fardeau de prouver que sa poursuite n’est pas abusive ; possibilité de condamner le poursuivant – et mêmes ses administrateurs personnellement, dans le cas d’une compagnie – à payer des dommages-intérêts punitifs pour passer un message au reste de la société. La loi prévoit que ces nouvelles dispositions s’appliqueront aux causes qui sont déjà devant les tribunaux. Elle instaure aussi un mécanisme de révision qui permettra de faire le point, en 2012, sur les effets concrets que ces modifications législatives ont eues sur la protection de la liberté d’expression.
L’actuelle ministre de la Justice Kathleen Weil, dans un geste probablement sans précédent, a donné la directive aux légistes de faire inclure le texte du préambule du projet de loi – qui parle de liberté d’expression, du droit de participer aux débats publics et de l’équilibre économique dans l’accès à la justice – dans l’intertexte du Code de procédure civile. On entend déjà les vieux civilistes et autres profs de procédure judiciaire hurler… Mais nous, on est bien content que le message soit écrit et souligné.
Un peu en retard, les patrons et leur Fédération des chambres de commerce ont bien tenté de brandir l’épouvantail des irritants à l’investissement. Lors d’une sortie publique dans les jours précédant l’adoption de la loi, ils ont voulu nous faire croire que la possibilité de poursuivre personnellement les administrateurs des compagnies leur imposerait « un fardeau de responsabilités plus élevé qu’ailleurs ». Si c’est vrai, c’est peut-être tant mieux ! Ils ont aussi fait un peu de « peinturage » dans le coin, disant que la loi n’allait que protéger des groupuscules qui s’opposent au développement… Des fois on se demande qui, d’entre eux et nous, sont vraiment les groupuscules…
On aura finalement obtenu une loi anti-poursuites-bâillons avec des dents. Reste à voir si le système judiciaire captera le message et si les juges auront assez faim pour croquer ces museleurs d’opinion publique.
[1] SLAPP, en anglais : Suitable lawsuits against public participation.