Éditorial du no. 31
La tarification des services publics
La crise économique comme prétexte aux reculs sociaux
« Il faut prendre l’argent là où il se trouve, chez les pauvres. D’accord, ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux ! » Alphonse Allais [1]
Cette phrase pleine d’ironie semble avoir été prise au pied de la lettre par les descendants d’Adam Smith, par le grand capital et par les dirigeants politiques qui se donnent de chaleureuses poignées de mains invisibles. Favoriser l’appauvrissement devient une mesure d’enrichissement des plus puissants et des plus grands. Mais les sociétés évoluent, et maintenant il ne suffit plus de soutirer de l’argent au plus grand nombre, il faut aussi obtenir leur consentement. Nos dirigeants doivent donc trouver des justifications à leurs décisions très peu équitables.
Comme prétextes aux petits salaires, au saccage des politiques sociales et des services publics, on nous a servi l’inflation, la mondialisation, la compétitivité, la dette, le déficit zéro, etc. À chaque décennie, on trouve de nouvelles raisons pour justifier le saccage des politiques sociales et des services publics, les pertes d’emploi, les petits salaires, la pauvreté. Paradoxalement, le discours dominant réussit à faire gober que le système capitaliste est le meilleur, malgré ses perpétuelles carences.
Aujourd’hui, la crise économique a le dos large et devient un prétexte pour imposer des mesures contraignantes. Alors que les responsables de cette crise continuent à s’accorder des primes de rendement pour la mise à sac de l’économie, le gouvernement libéral de Jean Charest, quant à lui, semble vouloir renouveler son discours (la réingénierie est finie !) et rejette même ce qui semblait hier encore des solutions néolibérales inébranlables. Les PPP, cette solution d’avenir, sont périmés. Même la fameuse loi antidéficit tant appréciée par les milieux d’affaires n’est plus appropriée. Comme un bon magicien, il a cependant plus d’un tour dans son sac et la dernière trouvaille à laquelle nous prépare le gouvernement Charest, avec l’aide des Jeunes Libéraux et de ce qui reste de l’ADQ, consiste en une hausse systématique de la tarification des services publics.
À l’occasion de la présentation du budget du Québec en mars 2009, l’ex-ministre des Finances a profité de l’occasion pour rendre publique la nouvelle politique de tarification du gouvernement du Québec qui devrait être implantée d’ici 2012, laquelle est largement inspirée du Rapport du Groupe de travail sur la tarification des ser¬vices publics, déposé en avril 2008 par Claude Montmarquette, Joseph Facal et Lise Lachapelle. Ce rapport avait établi à 5 milliards de dollars les revenus potentiels du gouvernement québécois par cette alléchante méthode de taxation de l’utilisation des services publics. La nouvelle politique de tarification vise aussi bien la CSST, la SAAQ, l’assurance médicaments, l’assurance parentale, les droits de scolarité universitaires, l’électricité, le transport collectif, les ponts et les autoroutes. Même le secteur de la santé, bien que la législation l’interdise actuellement, pourrait être soumis à la nouvelle politique de tarification.
Ce changement dans la formule de taxation est loin d’être anodin puisqu’il s’agit du passage d’une taxation progressive – quoique beaucoup moins progressive qu’il y a 20 ou 30 ans – à une formule nettement régressive. Ce faisant, le gouvernement Charest nous indique, avant le début du débat, qu’il est grand temps d’abandonner l’impôt comme mode de redistribution des richesses. Il nous annonce clairement que l’impôt, qui permettait d’offrir des services en apparence gratuits, mais en réalité payés collectivement via l’impôt des particuliers et des sociétés, est à jeter dans les poubelles avec la recherche de justice sociale.
Cette voie conduira à un appauvrissement généralisé et toute la population devra passer à la caisse. La classe moyenne verra ses moyens diminués et les plus pauvres s’appauvriront à chaque fois qu’ils et elles auront recours à un service public. Et ce n’est pas tout, le gouvernement Charest voit loin : la politique de tarification qui nous fera payer et payer est aussi un processus de conditionnement de la population à la privatisation des services publics. Ce qui est visé à terme, c’est la métamorphose des droits sociaux en marchandises.
Ne nous laissons pas berner ! Peu importe la formule qui sera retenue (Sommet à la péquiste, grand événement du genre Forum des générations, consultations prébudgétaires ou autres), le gouvernement de Jean Charest cherche au bas mot 4 milliards de dollars pour résorber le déficit budgétaire. La crise économique constitue donc une opportunité inespérée pour le gouvernement Charest d’imposer son agenda politique. La tarification des services publics est une mauvaise solution qui doit absolument être dénoncée et combattue énergiquement. Il serait temps de lui imposer un ticket modérateur !
[1] Journaliste, écrivain et humoriste français (1854-1905)