Syndicalisme
L’UQÀM, c’est Nous !
Retour sur une grève majeure
Le vaste téléroman que constitue l’histoire récente de la plus grosse université francophone d’Amérique aura été marqué, dans sa saison 2008-2009, par un épisode de solidarité sans précédent. Il convient de poser dès maintenant les premières pierres de ce qui deviendra notre mémoire collective de la grève de 2009.
C’est essentiellement à titre de travailleur étudiant, donc de jeune syndiqué, que j’ai vécu la grève de l’hiver 2009. Cette double identité, à défaut d’être parfois déchirante, a l’avantage de faire en sorte que nous sommes bien accueillis à la fois chez les syndicats et chez les associations étudiantes.
Mise en scène
Quiconque s’est minimalement déjà impliqué à l’UQAM sait très bien que c’est un casse-tête politique dans lequel se fréquentent (sans nécessairement s’apprécier !) quatre syndicats et sept associations facultaires de toutes les allégeances politiques. Rien, dans l’histoire récente de l’UQAM, ne pouvait donc laisser croire à la possibilité d’un mouvement unitaire.
À ce titre, la grève étudiante de l’hiver 2008 avait largement démontré la profondeur du fossé entre associations et syndicats. Alors que les associations étudiantes en grève se démenaient pour organiser des actions communes de solidarité, elles se butaient au mieux à des fins de non-recevoir de la part des syndicats, au pire à des annulations de participation le matin même. La grève étudiante est un échec sur toute la ligne.
En d’autres mots, Corbo, le recteur de l’UQAM, avait gagné sa première manche : diviser les forces vives pour pouvoir casser la résistance, une révolte à la fois.
Acte 1 : la rentrée automne 2008
À la rentrée de l’automne 2008, c’est le désert à l’UQAM. Le mouvement étudiant est inanimé et trois syndicats attendent toujours docilement le règlement de leur convention collective. Je dis bien trois, car le quatrième, le syndicat des chargés de cours (SCCUQ), avait accepté durant l’été un prolongement de sa convention collective. Corbo se dirige alors vers une victoire par défaut…
Acte 2 : session d’hiver 2009
La rentrée de l’hiver 2009 est marquée par une bravade étonnante, celle du syndicat des professeures (SPUQ), qui placarde le campus d’une affiche clamant : « 6 semaines pour négocier » ! Ah bon, c’est bien, mais après ils vont faire quoi ? Les six semaines s’écoulent paisiblement dans une indifférence générale jusqu’à ce l’assemblée générale des professeures décide qu’elle doit passer à une nouvelle étape dans ses rapports avec l’administration.
Une fois la grève déclenchée, le SPUQ s’est révélé être un fin stratège. Il sait qu’il a besoin d’alliés pour battre Corbo, et surtout pour battre Courchesne, la ministre de l’Éducation. De plus, un support de la communauté étudiante, du moins de ses éléments progressistes, sera très pertinent au moment de faire des tournées de classe pour expliquer aux étudiantes pourquoi ils et elles n’ont plus accès à la moitié de leurs cours. Pour s’assurer de cet appui, le SPUQ prend bien soin de mettre de l’avant des revendications qui auront un impact sur la qualité des études. La plus emblématique est certainement celle concernant l’embauche de 300 nouveaux profs. Justement, les associations en grève en 2008 demandaient la même chose…
Cette revendication assure au SPUQ un capital de sympathie presque instantané dans la communauté étudiante. D’ailleurs, la grève étudiante est dans l’air et des assemblées générales sont convoquées pour tâter le pouls de la communauté. Pendant que la gauche s’entretue à savoir s’il faut faire une grève d’appui ou une grève parallèle, la droite, elle, rigole. La présence de professeurs dans les assemblées étudiantes réussit toutefois à faire pencher la balance dans les facultés traditionnellement peu enclines à la grève.
Dans les jours suivants, le Sétue (Syndicat des étudiantes employées) propose de mettre sur pied une nouvelle instance de coordination de la mobilisation : l’intermob. Cette instance va jouer un rôle fondamental dans le déroulement de la grève, car elle constitue une manière originale et décentralisée de conceptualiser les relations intersyndicales. En effet, en réunissant les comités de mobilisation des différents syndicats et associations étudiantes, les réunions changent radicalement de ton et de registre.
Les premières actions de solidarité consistent à organiser des ateliers de réflexion sur l’université que nous voulons. Dans la tradition des forums sociaux, ces ateliers de discussion permettent des rapprochements importants, particulièrement entre professeurEs et étudiantEs. On voit apparaître des nouveaux visages et une atmosphère de solidarité communautaire se dessine.
Cette nouvelle atmosphère est particulièrement palpable dans les rassemblements unitaires, en particulier lors de la grande assemblée au théâtre St-Denis du 26 mars où, durant trois heures, toute la communauté s’est exprimée librement sur le conflit en cours et l’avenir de notre université. En ce qui a trait à la rue, les marches de protestation se succèdent à un rythme d’environ deux par semaine ! On décide d’inscrire sur l’unique bannière de tête ce qui est déjà un slogan populaire depuis le début du mouvement : L’UQAM c’est nous ! Faisant suite au À qui l’UQAM ?, À nous l’UQAM ! scandé depuis toujours, la réunion de la communauté atteint un niveau inégalé lorsque le slogan évolue en : C’est qui l’UQAM ? c’est nous l’UQAM !
Dans toutes les actions et manifestations ayant eu lieu dans le cadre de « l’UQAM c’est nous ! », la fête du 40e anniversaire de l’UQAM marque, il me semble, l’apogée de la réappropriation identitaire de notre université populaire. Idée issue de l’intermob, la fête du 40e désirait profiter du fait que les premières lettres patentes avaient été émises le 9 avril 1969 pour mettre la communauté de l’avant et ainsi réellement mettre en pratique le fait que l’UQAM, c’est nous. Le sociologue Guy Rocher ouvre la célébration en grand. Il déclare : « Le nouveau Québec qu’on a voulu créer dans les années 1960 a été immortalisé, consacré, par la création de l’UQAM. » Le rassemblement se termine avec la lecture, par chaque groupe de la communauté, d’un segment d’une nouvelle charte de l’UQAM où sont mentionnés les valeurs et les principes que nous désirons voir guider l’institution pour les 40 prochaines années.
Acte final : 9 avril 2009
Ce que nous devons retenir de tout ce branle-bas de combat, c’est qu’une communauté s’est solidarisée et a pu se réapproprier l’identité de son université face à une administration en décadence. La réappropriation était si puissante que lors de la « refondation » de l’UQAM du 9 avril, la direction a préféré annuler les cérémonies officielles prévues depuis des mois. Même chose pour une soirée en hommage aux ancienNEs diplôméEs. Bien perchée au 5e étage du pavillon Athanase-David, la direction s’est retrouvée complètement dépassée par le fait qu’elle ne possédait plus de pouvoir sur l’image de l’UQAM. À ce titre, on peut dire qu’elle a largement perdu la bataille symbolique et médiatique…
Nous connaissons tous et toutes la fin. Étirant l’élastique de la loi spéciale au maximum, les professeurEs négocient in extremis un règlement satisfaisant avant que les foudres de la ministre Courchesne ne s’abattent sur eux. Les étudiantEs, eux, retournent en classe mi-figue, mi-raisin. Peu de temps après, les employées de soutien membres du SEUQAM obtiennent, grâce à la menace d’une journée de grève, un règlement à leur convenance.
Il reste donc le « p’tit dernier », le Sétue. Au moment d’écrire ces lignes, il s’avère peu probable que le syndicat obtienne un règlement avant la rentrée. Dans le cadre des festivités entourant le 40e (officiel) de l’UQAM, la direction semble être en mesure de se payer le luxe d’avoir un électron libre sur le campus…