Chronique féminisme
L’égalité des femmes au Québec, c’est réglé ?
par Elsa Beaulieu
Première anecdote
Le mercredi 13 février 2008 à RDI, Simon Durivage s’apprête à discuter avec ses invitées du « Club des ex » du projet de loi 63, qui vise entre autres à ajouter un nouvel article (49.2) à la Charte québécoise des droits et libertés : « Les droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes. » En guise d’introduction, il lance, tout bonhomme, tout souriant : Ce n’est pas fini, ça ? C’est acquis, non ? Nous sommes tous d’accord, nous les Québécois, les hommes et les femmes sont égaux, et voilà !
Mais oui, où avais-je la tête ? C’est évident ! Je me demande bien pourquoi, alors, les femmes au Québec continuent de gagner seulement 71 % du salaire des hommes, d’occuper la majorité des emplois au salaire minimum, précaires ou à temps partiel ? Pourquoi ce sont les femmes qui effectuent sans rémunération et sans reconnaissance l’immense majorité du travail domestique et de soins aux personnes, alors qu’il est nécessaire à l’ensemble de la société ? Pourquoi la publicité mise-t-elle si fort sur les images et stéréotypes les plus sexistes pour stimuler la (sur)consommation ? Les industries de la mode, des cosmétiques, de la chirurgie plastique (sans même parler de la pornographie !) entretiennent savamment l’idée que si les femmes ne sont pas assez « belles », que si elles ne sont pas un objet sexuel, elles ne valent rien. Ça n’a pas l’air de déranger beaucoup tous ces Québécois qui aujourd’hui, soudainement, jurent leurs grands dieux que l’égalité entre les femmes et les hommes est au cœur des valeurs collectives. Pourquoi la violence conjugale et les agressions sexuelles signalées représentent-t-elles respectivement 22 % et 8 % des crimes contre la personne au Québec, et pourquoi ces violences augmentent-elles actuellement chez les jeunes [1] ? Évidemment, le projet de loi 63 n’apportera pas en soi de solutions à ces problèmes. Ce qu’il faut, c’est prendre des mesures concrètes pour lutter contre le sexisme dans les médias, contre la pauvreté et contre les violences envers les femmes.
Deuxième anecdote
Le 8 février 2007, Jean Charest annonce la création de la commission Bouchard-Taylor. Le 12 février, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) déplore que cette commission ne compte pas de femme à sa présidence, ce qui aurait été logique, étant donné que les controverses autour des « accommodements raisonnables » avaient principalement tourné autour de conflits confrontant respect des droits des femmes et respect des libertés religieuses. Le 10 avril, la FFQ tient une soirée publique à l’UQAM « dans le but d’apporter un point de vue féministe sur la question de l’égalité des droits des femmes et de la place de la religion dans l’espace public au Québec [2] ». La salle est bondée. M. Bouchard s’y rend et assiste discrètement aux conférences, discussions et débats. Vers la toute fin de la soirée, il se lève et prend le micro pour expliquer pourquoi lui et M. Taylor ont refusé d’inclure une femme dans la commission : « C’est un sujet qui divise les Québécois profondément, où il y a beaucoup d’irrationalité, beaucoup d’émotion [...]. Nous nous sommes vite aperçus que plus il y aurait de membres dans la commission, plus il faudrait consacrer de temps à négocier des consensus entre nous [...]. Et la décision que nous avons prise c’est de ne pas ajouter de membre féminin. De ne pas ajouter de membre point [...]. Nous sommes seulement deux, nous sommes deux hommes [...] et même entre [nous], qui nous entendons très bien, qui sommes parfaitement disposés [...], il y a des sources de division considérables, c’est extrêmement difficile ! »
Belle pièce d’anthologie, n’est-ce pas ? Eh bien, M. Bouchard, ce soir-là vous ne nous avez rien appris. Imaginez-vous donc qu’on le savait déjà que les hommes blancs de l’élite trouvent ça bien moins compliqué de régler le sort de la société entre eux. S’entendre avec des femmes, avec des immigrantes, sur des sujets émotifs et irrationnels (!), ça prend trop de temps et c’est trop difficile à gérer ! La justice et la démocratie, quelles complications ! Bien sûr que nous le savions déjà. Pourquoi croyez-vous donc que nous sommes féministes ?
Dans cette nouvelle chronique, nous nous appliquerons, sur tous les tons, à dénoncer les injustices, oppressions et discriminations, à déboulonner les mythes et les idées reçues sur le féminisme et sur la ou les conditions des femmes, à donner une tribune aux analyses féministes et à faire connaître les luttes et les mobilisations. Écrivez-moi.
[2] Ministère de la Sécurité publique, Les agressions sexuelles au Québec, Statistiques 2005 et Statistiques 2006 sur la criminalité commise en contexte conjugal. Le rapport sur la violence conjugale mentionne que selon L’enquête sociale générale sur la victimisation criminelle, seulement 28 % des cas sont signalés à la police. Le rapport sur les agressions sexuelles ne fournit pas d’estimation du taux de signalement des crimes, mais il y a tout lieu de penser que celui-ci doit être aussi bas, sinon plus, que le taux de signalement des violences conjugales.