Gagner sa vie sans la perdre
Abitibi-Témiscamingue : toujours vigilante !
par Jean-Marc Piotte
Des Réseaux de Vigilance, regroupant associations étudiantes, groupes communautaires, féministes ou écologiques et syndicats, se sont formés dans presque toutes les régions du Québec pour affronter le gouvernement Charest qui, nouvellement élu en 2003, attaque directement les acquis syndicaux et sociaux par un certain nombre de lois. Cette mobilisation passionnée des forces militantes du Québec, même si elle n’a pu bloquer l’adoption de ces lois, a exercé incontestablement une influence modératrice sur les visées belliqueuses du gouvernement libéral. Or, le réseau national devrait faire le post mortem des réseaux qui se sont peu à peu défaits au fil du temps, chacun retournant à ses préoccupations particulières. Pourtant, dans certaines régions, comme l’Abitibi-Témiscamingue, des militantes réussissent heureusement à maintenir vivant ce réseautage : comment et pourquoi ?
Les syndicats, malgré des cultures et des modes de fonctionnement différents, et en dépit des campagnes de maraudage et d’un certain corporatisme, ont appris partout à œuvrer avec d’autres syndicats au sein de leur organisation, contrairement aux groupes communautaires, souvent repliés sur les services qu’ils offrent, et davantage que les associations étudiantes dont le membership et le leadership sont renouvelés fréquemment : ils sont le cœur de tout regroupement de forces sociales.
Ainsi, en Abitibi-Témiscamingue, le Syndicat de l’enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue (CSQ), la section régionale du Syndicat des professionnels et professionnelles du gouvernement du Québec (SPGQ), la section régionale du Syndicat de la fonction publique (SFPQ), le Conseil central de la CSN et le Conseil régional de la FTQ représentent la principale force du Réseau de Vigilance par leur poids, leur membership et pour son financement sur une base annuelle, même si la représentativité et la puissance du réseau exigent la participation de tous les groupes qui le constituent. Le développement et le maintien de cette large coalition sociale, qui représente plus de 30 000 personnes, la première de ce genre dans l’histoire de l’Abitibi-Témiscamingue, a exigé de plus qu’une organisation prenne la responsabilité de son animation : c’est le rôle qu’exerce, au sein du Réseau de Vigilance, le Regroupement d’éducation populaire de la région, en lui consacrant des ressources et une journée de travail par semaine.
Le Réseau se réunit habituellement à toutes les six semaines. Les deux principaux points de chaque ordre du jour sont la présentation, par chaque organisation, de son état des lieux et le plan d’actions à venir du Réseau. Le compte rendu de ces rencontres, auxquelles participent environ la moitié de la vingtaine d’organisations du Réseau, est distribué à tous les membres.
Le Réseau encourage des échanges entre membres d’organisations qui ne partagent pas nécessairement les mêmes points de vue sur un problème (par exemple, la FTQ, la CSN et l’Action boréale sur la politique forestière), intervient dans les médias régionaux et suscite des actions pour défendre les droits économiques, sociaux, environnementaux et politiques des citoyennes. Ainsi, à la fin de janvier dernier, le Réseau a organisé, dans le cadre de la Journée mondiale d’actions appelée par le Forum social mondial, une manifestation à Amos pour la protection des services publics à laquelle ont participé une centaine de militantes.
En 1972, lors de la grève générale des secteurs publics et parapublics, les régions les plus actives et dynamiques sont celles qui, comme à Sept-Îles, avaient développé et sauvegardé les comités politiques inter-syndicaux créés deux ans plus tôt. En Abitibi-Témiscamingue, les organisations militantes, ayant maintenu patiemment et opiniâtrement leur réseautage, pourront affronter gaillardement la prochaine crise régionale ou nationale.