Rapport Castonguay : le néolibéralisme triomphe

No 024 - avril / mai 2008

Éditorial no 24

Rapport Castonguay : le néolibéralisme triomphe

Le Collectif de la revue À bâbord !

Les médias ont beaucoup parlé des « réserves » exprimées par le ministre de la Santé Philippe Couillard à l’égard de certaines recommandations formulées par le groupe de travail présidé par Claude Castonguay. Mais ils ont peu parlé du désaveu ayant immédiatement suivi et qui n’annonce rien de bon…

Le mandat confié à Claude Castonguay en mai 2007 portait sur le financement du réseau public de santé. Dans le rapport de 2008, quelques propositions concernent le financement : assurance privée duplicative, imposition d’une franchise (ticket modérateur) sur le revenu des ménages, contribution annuelle à une clinique de santé pour chaque adulte, scénarios de révision des frais administratifs et de la tarification, augmentation de la taxe de vente du Québec, sans oublier d’autres bonnes idées que n’a pas cru bon chiffrer le groupe de travail. Au total, plus de trois milliards de dollars en nouvelles taxes régressives aux usagers, alors que le gouvernement Charest s’efforce de diminuer les impôts des QuébécoisEs. Pas un sou noir ne serait exigé des entreprises. Une semaine après le dépôt du rapport et après avoir accueilli favorablement la hausse de la TVQ, le Parti québécois a même demandé l’abolition immédiate de la taxe sur le capital. Ce qu’annonçait la ministre des Finances deux semaines plus tard dans son budget.

La grande majorité des recommandations (31 sur 37) porte sur la réorganisation des services de santé. Le rapport du Groupe Castonguay convie le Québec à accepter un nouveau « contrat social » basé sur des valeurs néolibérales comme la liberté et l’efficacité, remplaçant celles de la Loi canadienne sur la santé qui fonde l’existence du système public de santé, comme l’accessibilité ou l’intégralité.

En outre, le rapport propose de revoir la « gouvernance » du système de santé en redéfinissant le rôle d’organismes existants comme le ministère de la Santé et des Services sociaux, la Régie de l’assurance maladie du Québec et les agences régionales. Par exemple, suivant les propositions, le ministère de la Santé pourrait se retirer de la production de soins afin de laisser les agences régionales octroyer les contrats de cette production au plus offrant, favorisant ainsi la concurrence entre le privé, le public et le secteur communautaire. Cette régionalisation du financement est connue en Ontario depuis l’époque Harris. Le rapport propose également la création d’un nouvel organisme, le joliment nommé Institut national d’excellence en santé (INES), issu de la fusion d’organismes existants et dont la tâche consisterait notamment à revoir d’une manière perpétuelle le panier des services assurés par le régime public. Tel un berger au service des loups, le gouvernement, sans même devoir lever le petit doigt, se chargerait de fournir de nouveaux traitements aux compagnies d’assurance. Ils tomberaient comme par miracle dans le terreau fertile de l’assurance privée complémentaire. Quelle astuce magnifique ! Inutile de souligner que Claude Castonguay a été fort bien accueilli par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain dont les membres étaient réunis pour l’entendre lors d’un dîner-causerie pendant que des citoyennes manifestaient leur désapprobation à l’extérieur. Si le rapport Castonguay se retrouve tabletté, à n’en pas douter, ce sera sur une tablette dorée. Et ce sera éphémère, car le ministre Couillard a déjà annoncé cinq chantiers de mise en œuvre, dont le plus important, la mise sur pied de l’INES, sera présidé par nul autre que Claude Castonguay lui-même.

Dans le tourbillon médiatique qui a entouré les premières heures de la sortie de cet odieux rapport, l’augmentation de 1 % de la taxe de vente du Québec a retenu toute l’attention des journalistes. Cette proposition, qui était une commande des ministres Jérôme-Forget et Couillard qui se sont empressés de la désavouer, devait donc servir d’écran de fumée pour cacher l’essence véritable du rapport signé par Claude Castonguay, lui qui continue d’être présenté comme ex-ministre de la Santé, mais jamais comme représentant des compagnies d’assurance, qu’il a servi pendant une bonne trentaine d’années. Jamais non plus n’a-t-on insisté sur le rôle joué par Joanne Marcotte, nommée par l’ADQ et réalisatrice du brûlot néolibéral L’illusion tranquille. Quant à Michel Venne, nommé par le Parti québécois, il n’aura finalement inscrit qu’une vaine dissidence puisque le parti ne rejette plus les mêmes éléments que ceux contre lesquels il s’était inscrit en faux. Les Lucides, dominant l’ADQ, sont désormais bien implantés partout.

Après le rapport Kirby au fédéral, et Arpin, Clair et Ménard au provincial, le rapport Castonguay s’inscrit dans la foulée de cette patiente stratégie qui devrait mener à terme à la privatisation des services de santé. Cette stratégie a débuté dès 1977, lorsque le gouvernement Trudeau a transformé le mode de financement et commencé à fermer le robinet financier aux provinces. Le paroxysme fut atteint en 1995, avec l’introduction du chétif financement en bloc équivalant à 18 % des dépenses publiques de santé. La Commission Séguin évaluait à 44,9 milliards de dollars l’impact des coupures cumulatives pour le Québec pour la période 1982-1983 à 2001-2002, soit le désengagement du gouvernement fédéral par rapport à 1977. C’était avant que la frénésie des diminutions d’impôt n’atteigne les gouvernements, tant fédéral que provincial. D’ailleurs, l’apogée du « défaut de ressources », stratégie dictée par la Banque mondiale pour inciter les États à se retirer de l’offre de services publics, est contemporaine de la signature de l’ALÉNA.

Il apparaît insolite de lire, dans la préface du rapport Castonguay, d’une part, que la société subit de profondes transformations sous la pression de la libéralisation des échanges et de la mondialisation et, d’autre part, qu’il faudrait donc « adapter les politiques sociales issues de la Révolution tranquille au nouveau contexte économique et à la mondialisation ». D’où le groupe de travail tient-il ce mandat ? Ce sujet n’est d’ailleurs pas traité explicitement dans le texte qui se limite à l’aborder par le biais de thèmes comme la « gouvernance », le financement des établissements ou l’achat de services. Comme Claude Castonguay l’a affirmé, la portion du financement n’est pas la partie la plus importante, c’est l’autre partie qui est fondamentale. Le rapport place donc les pions pour une seconde étape de la réingénierie de la santé entreprise par le gouvernement Charest en 2003.

Non, le néolibéralisme n’a pas été désavoué.

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