L’INESSS : une machine à privatiser

No 034 - avril / mai 2010

Social

L’INESSS : une machine à privatiser

Lucie Mercier

En novembre 2009, le gouvernement du Québec a déposé le projet de loi 67 visant à fusionner deux organismes existants, l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AÉTMIS) et le Conseil du médicament, afin de créer un Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Nous tenterons de mettre en lumière quelques enjeux passés sous silence à cette occasion. De plus, nous nous demanderons si l’INESSS constitue un organisme nécessaire et avantageux du pour la population québécoise.

Le gouvernement prévoit exclure le nouvel organisme du périmètre de la fonction publique, alors qu’il serait entièrement financé à même les fonds publics. Le projet de loi prévoit même qu’une situation « ponctuelle » de conflit d’intérêts puisse être tolérée. Comment un gouvernement qui légitime les conflits d’intérêt à même sa législation pourrait-il accepter la tenue d’une enquête publique sur l’industrie de la construction ?

Quel mandat pour l’INESSS ?

Bien que le rapport du Groupe de travail sur le financement du système de santé présidé par Claude Castonguay et le rapport du Comité d’implantation de l’INESSS, sous la même présidence, aient recommandé la révision du panier des services assurés, le projet de loi ne prévoit pas qu’un mandat explicite soit confié à l’Institut. Toutefois, comme l’ont précisé autant le ministre de la Santé et des Service sociaux, Yves Bolduc, qu’Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins du Québec et ex-membre du Comité d’implantation, les mandats définis dans le projet de loi n’empêchent pas la révision du panier des services assurés. Ainsi, différentes possibilités s’offrent au gouvernement pour arriver à cette
fin dont :

• « exécuter tout autre mandat que lui confie le ministre » ;

• recommander de ne plus faire telle pratique (service financé mais pas prescrit) ;

• désassurer une pratique existante ;

• recommander, par les guides de pratique et d’évaluation de la qualité de l’exercice des professionnels, de retirer une pratique existante.

L’objectif officiel de l’Institut demeurerait d’assurer la meilleure pratique médicale possible. Bien que le projet de loi ne prévoie pas explicitement la désassurance de services, il ne l’empêche pas non plus : « tous les chemins mènent à Rome », comme le veut l’expression populaire. Mais quel serait le panier des services couverts par le régime public ? Plusieurs hypothèses circulent. Certains parlent de « services essentiels », d’autres du modèle des « cercles concentriques » (core services).

Tailler une place à l’industrie de l’assurance

Le corollaire de la révision du panier des services assurés réside dans l’élargissement de l’assurance privée complémentaire, soit une privatisation active du financement du réseau public de santé. La mise en place de l’INESSS s’inscrit également dans le débat public sur la tarification lancé lors du budget du Québec 2009-2010, puisqu’une part croissante du financement des soins de santé serait privatisée et devrait être assumée par les citoyens-nes. D’ailleurs, dès 2002, l’industrie de l’assurance s’est dite prête à prendre le relais du gouvernement, l’expérience du Régime général d’assurances médicaments mis en place en 1996 ayant été très lucrative pour cette industrie. Mais qui aurait les moyens de payer une telle assurance puisque les statistiques fiscales québécoises de 2002 indiquent que plus de 48 % des déclarations sont produites par des contribuables ayant un revenu inférieur à 20 000 dollars et 85 % des déclarations de revenus sont le fait de contribuables ayant un revenu inférieur à 50 000 dollars [1] ? Qui donc aurait les revenus nécessaires pour souscrire à des polices d’assurance complémentaires, alors que bon nombre de personnes assurées par le biais des régimes collectifs d’assurance ne souscrivent même pas à une assurance pour les soins dentaires ?

Les informations personnelles transmises sans consentement

L’Institut pourrait également requérir d’un organisme public les renseignements personnels et non personnels nécessaires à l’exercice de ses fonctions d’étude ou d’évaluation. Il pourrait également faire des recommandations au ministre pour la création de registres d’information. Plusieurs organismes sont visés par cette disposition : ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), agences régionales, établissements publics et privés ou RAMQ. Tous ces organismes devraient donc fournir à l’INESSS les renseignements personnels et non personnels qu’ils détiennent sur les usagers-ères du réseau. La RAMQ serait l’organisme public qui détient le plus d’informations sur les Québécois-es. Il faut encore ajouter les informations de 30 systèmes d’information clientèle en opération dans les établissements, plus le développement en cours de nombreuses banques de données rattachées au Dossier santé Québec (DSQ) dont plusieurs seront constituées sans égard au consentement de l’usager-ère. Il ne faut pas oublier non plus la quarantaine de banques de données du MSSS, dont plus du tiers contiennent des données nominatives. Qui aura accès à ces informations d’une très grande sensibilité ? La protection de la confidentialité des renseignements personnels ne cesse de s’effriter et la circulation de l’information qu’autoriserait le projet de loi y contribuerait. Pourraient-elles servir à d’autres fins comme les désassurances de services ou l’exploration de données (data mining) ? En Grande-Bretagne de telles banques de données ont été utilisées pour effectuer des croisements pour les compagnies d’assurance, les banques et la police en plus du National Health Service (NHS) [2].

L’INESSS : instrument de la réingénierie de la santé

L’INESSS, plus qu’une simple fusion d’organismes existants, s’il a une nécessité, c’est bien celle d’approfondir la réingénierie libérale de la santé. Sous couvert d’amélioration des services, l’objectif du projet de loi est d’abord financier. S’il est créé, cet organisme permettra une privatisation active du financement de la santé. La fin des audiences publiques, qui n’ont d’ailleurs pas mené à un consensus, coïncidait avec l’ouverture de la Rencontre économique 2010 et la publication du Fascicule 2 du Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques. Incidemment, ce dernier recommande qu’un mandat clair de révision du panier des services assurés soit confié à l’INESSS. Bref, il s’agit d’une nouvelle duperie du gouvernement libéral pour masquer les véritables enjeux législatifs.


[1Ministère de la Santé et des Services sociaux, Garantir l’accès : un défi d’équité, d’efficience et de qualité. Document de consultation, s.l., Le Ministère, 2006, p. 44.

[2Florence Faucher-King et Patrick Galès, Tony Blair 1997-2007. Le bilan des réformes, Paris, Presses de Sciences politiques, 2007, (Coll. Nouveaux Débats), p. 167.

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