Présentation du dossier du #34
Libérer des espaces : Résister, créer, militer
Le projet d’un dossier sur les formes contemporaines du militantisme a émergé lors de la rencontre de plusieurs générations militantes. À travers les récits, le partage des expériences et des points de vue, un constat s’est peu à peu imposé : les modes d’engagement des plus jeunes sont une énigme ou, pour le moins, une source d’interrogations pour la plupart de leurs collègues plus agéEs : queer ? Fanfare anarchiste ? Manger ce qu’on trouve dans les poubelles ? Devant l’avalanche de questions, il semblait important d’ouvrir un espace de rencontres afin de permettre à des « jeunes » engagéEs au quotidien de présenter leurs initiatives, leurs actions, leurs réflexions...
En filigrane du dossier, une interrogation : qu’est-ce qu’être militantE ? Dans les médias, le mot s’applique à une multitude de figures, de Bono, milliardaire au secours de l’Afrique, aux consommateurs-trices éco-responsables. D’un autre côté, à chaque occasion, les journalistes, analystes et membres du gouvernement déplorent la dépolitisation et l’apathie de la population. On parle de crise de la démocratie, de désengagement. Effectivement, la participation électorale est faible. Les partis obtiennent peu de succès dans leurs campagnes de recrutement. Les plus jeunes sont peu intéresséEs par le syndicalisme. En fait, le Canada connait, comme la plupart des pays occidentaux, une baisse sans précédent de la participation politique. Et qui de blâmer l’individualisme, le consumérisme, les nouvelles technologies...
Parallèlement à cela, à Montréal comme ailleurs au Québec, pas une semaine ne se passe sans qu’il y ait une manifestation, un évènement de soutien, une projection de documentaire engagé... Activités qui ne sont mises sur pied ni par des partis politiques, ni par des syndicats, ni par des organisations, mais par des collectifs, des groupes d’affinités, des coalitions ponctuelles, regroupant des individus qui donnent leur temps et leur énergie pour faire exister des projets qui les animent et pour protester contre ce qui les révolte.
Faut-il absolument agir dans les sphères traditionnelles de la contestation politique pour être militantE ? « Plutôt qu’à une crise de la participation politique, on assisterait aujourd’hui à des changements dans les modes et les formes de l’engagement, parallèles aux transformations mêmes du politique. » affirment Julie Jacques et Anne Quéniart dans Apolitiques les jeunes femmes (2004).
Parce que le pouvoir ne se limite pas à l’État, parce que l’oppression a de
nombreux visages et que la révolution n’est pas prévue pour la semaine prochaine, la contestation s’adapte, se transforme et se renouvelle, empruntant à l’histoire, mélangeant des valeurs, diversifiant ses champs d’action. Les objets de lutte sont multiples : environnement, profilage, pauvreté, discriminations, contrôle social, immigration, etc. La protestation est à l’image de la société : multiforme et éclatée, mais bel et bien vivante. Crise de la démocratie ? Plutôt désir de démocratie. Dans un monde orphelin des idéologies qui promettaient des lendemains qui chantent, il y a encore des gens pour qui il est nécessaire de se révolter et de s’unir pour refuser l’injustice et l’absurdité, tout en essayant de créer ensemble quelque chose de différent.
Ce dossier est une fenêtre entrouverte sur la militance qui existe en dehors
de la sphère politique traditionnelle. En raison de l’espace limité, il est loin de représenter la multiplicité des initiatives contemporaines au Québec. Ne sont abordés ni le féminisme radical, ni le théâtre d’intervention, ni la défense des droits des travailleurs/euses (parmi tant d’autres). Grandes absentes aussi : les luttes et mobilisations autour des questions de l’immigration et du racisme. On a pensé que le sujet était assez vaste pour mériter un dossier complet. Et on mérite une tape sur les doigts pour le montréalocentrisme ! Parce qu’on ne sort pas souvent de la ville, on a tendance à moins connaitre ce qui se fait ailleurs...
Fenêtre entrouverte donc, mais qui permet une grande bouffée d’air frais
dans une atmosphère politique mortifère. Au fil des pages, des militantEs
partagent avec nous leurs projets, leurs analyses et leurs réflexions. Initiatives de quartier, contre la discrimination et le profilage à Montréal-Nord, pour l’autogestion du quartier par ses résidentEs à Pointe Saint Charles ou pour créer des espaces de rencontre dans Parc Extension. Luttes anticoloniales, en Colombie et au Canada, avec le PASC et le réseau autochtone des DéfenseurEs de la Terre (Defenders of the Land). Coco Riot dresse le portrait du Montréal queer tandis que Barbara Legault présente les activités du réseau des jeunes ReBELLEs féministes. Parce que pas une manif ne se déroule sans les tambours et trompettes de la fanfare de l’Ensemble Insurrection Chaotique, on lui a offert un peu de place. Comme d’habitude elle en a pris beaucoup, et elle nous offre un slam en plus d’un texte sur l’action politiquement musicale, ou musicalement politique.
Suivent ensuite une analyse sur la présence des pratiques et idéaux libertaires dans les mouvements militants contemporains et une réflexion critique sur l’engagement contemporain par notre « vieux militant » de service.