Libérer des espaces : résister, créer, militer
Montréal est un grand pink bloc
Queers anti-autoritaires dans la métropole québécoise
Queer. C’est un mot qu’on entend de plus en plus souvent, tellement qu’on finit par ne plus oser demander ce que ça veut dire. Pourtant, des incompréhensions persistent quant à ce concept, ainsi qu’une méconnaissance de la militance queer en général.
Décrire en quelques lignes ou paragraphes un mouvement qui se caractérise notamment par son refus des définitions universalistes est une tâche très difficile et probablement injuste. Mais à laquelle on va s’essayer.
LeS mouvementS queerS montréalais s’inscrivent dans la vaste mouvance des collectifs anti autoritaires. Comme ceux-ci, ils rejettent les multiples systèmes de domination que sont l’État, le racisme, le patriarcat etc. avec cependant une importance prioritaire accordée à la lutte contre l’hétéronorme (privilège systémique de l’hétérosexualité) et les définitions de genre et de sexe binaires (fondées sur deux catégories : hommes et femmes, avec leurs caractéristiques de genre/sexualité traditionnellement associées). Le mouvement regroupe des personnes issues de la grande constellation des genres et des sexualités, fortes de leur vécu, de leurs analyses, « expertes » des oppressions auxquelles elles sont confrontées et des luttes et des alternatives auxquelles elles participent.
Il existe à Montréal des espaces, événements et groupes spécifiquement queers, qui répondent aux besoins, envies et préoccupations de la communauté locale. Par exemple le Ste. Emilie Skillshare, un centre artistique/D.I.Y [1] animé par des militantEs queers et queers racisées ; le Centre 2110 (pour la défense de tous les genres) ; la Semaine Queer Radicale (5-14 mars 2010) organisée par le collectif PolitiQ ; et le festival Perverscité (août 2010). Des événements à plus petite échelle sont aussi importants pour maintenir les liens entre les membres de la communauté : des fêtes, des ateliers, des jeux de soccer queer, des projection de films, la fabrication et les échanges de zines et d’affiches, des blogs et des listes de courriel qui gardent en contact toustes les membres de la communauté qui le souhaitent.
La militance queer est souvent associée au festif. C’est effectivement un aspect important. La recherche de la convivialité, le plaisir d’être ensemble sont primordiaux pour les personnes, afin de partager des espaces/temps d’empowerment, à l’abri des discriminations du quotidien.
Mais ça ne se limite pas à ça. En fait, les politiques queer sont à l’intersection de différents éléments interdépendants : le contexte local d’action, l’entretissage d’activismes, et le cadre d’analyse anti-oppression.
Concrètement, cela veut dire que les queers ne se contentent pas de militer sur des enjeux qui leur sont spécifiques, mais participent aussi à l’organisation d’événements qui ne sont pas explicitement queers, comme le Forum contre la Brutalité Policière, le Salon du Livre Anarchiste, etc. [2] C’est dans ces espaces de mixité militante que les différents courants de la mouvance anti-autoritaire s’imprègnent des valeurs et des pratiques des uns et des autres.
Les défis de la communauté queer montréalaise sont nombreux : par exemple l’urbanocentrisme (dans ce cas, le montréalocentrisme) et la dépolitisation du mouvement liée au fait d’être à la mode (ce qui provoque aussi la critique d’un certain mode de vie queer). En plus la situation de Montréal entraîne un défi très concret relié à la cohabitation, pas seulement de deux langues, mais de deux cultures politiques différentes avec toute la richesse et complexité que cela occasionne. Depuis la disparition du collectif Les Panthères Roses, les groupes queers montréalais sont exclusivement anglophones.
PolitQ, groupe nouvellement formé, vise à remédier à cette situation ; c’est le premier collectif queer à compter des membres des deux communautés linguistiques, qui travaillent ensemble et peuvent partager des expériences politiques issues d’ héritages militants différents.
Le mouvement queer montréalais est très vivant, constamment en évolution en raison notamment de l’arrivée constante de jeunes militantEs queers venant principalement d’autres régions du Canada. La communauté queer montréalaise évolue au sein d’un milieu militant antiautoritaire très
expérimenté. C’est cet ensemble de collectifs, réseaux, groupes et communautés intimement entretissés, qui fait de Montréal une ville riche en réflexions et pratiques d’alternatives libertaires.
[1] Le DIY/Do It Yourself ou Fais le Toi-Même est l’ensemble de valeurs qui défend la création d’une culture autonome qui nous représente et qu’on crée nous-même selon nos principes, anticapitalistes parmi d’autres
[2] Un cas très concret de cet entrecroisement militant a eu lieu au mois de décembre 2009 dans le Vieux port de Montréal : les militantEs, toutes identités politiques confondues, ont été invitéEs à faire partie d’un pink block, manifestation où les militantEs sont habilléEs en rose, pour protester contre le passage de la flamme olympique à Montréal. Cette tactique à fortes connotations queer est utilisée pour exprimer un message anticolonialiste, antiraciste et anticapitaliste sans oublier la portée écologiste de la lutte contre les Jeux de Vancouver