International
Les OlympInc
Un spectacle de la société marchande
Alors que sont en cours les olympiques de Vancouver, il est intéressant de s’interroger sur le phénomène olympien. D’entrée de jeu, il apparaît important de souligner que même si le point de vue ici adopté se veut largement critique, l’objectif est tout autre que de reprocher à quiconque d’apprécier le spectacle des JO (Jeux Olympiques). Le but est plutôt de proposer une réflexion sur les dimensions sociales et politiques liées aux Jeux tels qu’ils sont actuellement organisés et présentés.
Quand les Olympiques se transforment en OlympInc.
Même si la dimension économique des Jeux n’est pas particulièrement apparente lorsqu’on regarde les compétitions, les OlympInc. constituent une « industrie » en pleine croissance. En effet, ils représentent une opportunité d’affaire extraordinaire pour des secteurs aussi variés que ceux des médias publicitaires, du développement immobilier, de la gestion et de la sécurité, du secteur hôtelier et récréatif, de la finance, de la construction d’infrastructure de transport de même que pour les industries qui oeuvrent dans l’extraction de matières premières. Dans ce dernier secteur, quoique cela puisse paraître surprenant, l’industrie minière est parmi les principaux acteurs dans la mise en candidature de Vancouver 2010. Bref, à l’instar de ce que faisait remarquer Anaïs Airelle, « [si] le Comité international olympique se décrit lui-même comme une société sans but lucratif, on ne peut pas en dire autant de ses membres. » [1]
Si la mise en œuvre des OlympInc. est intéressée, il faut chercher à identifier qui a le plus à gagner et à perdre avec la tenue des Jeux. Les « nouveaux territoires vierges ouverts au développement » qu’ils suscitent ne profitent pas également à tous : certains groupes sociaux doivent céder la place au complexe olympique. À Vancouver, on peut penser à certaines communautés autochtones qui vivent près des montagnes qui accueillent les Jeux ou à quelques secteurs de la ville comme le Downtown Eastside. Il ne faut toutefois pas se surprendre que ces différentes conséquences néfastes ne soient pas aussi médiatisées que le déroulement des compétitions où les performances des athlètes seront adulées.
Lorsque les intérêts politiques s’emparent du sport
Il n’y a pas que le caractère économique des Jeux à considérer ; leur dimension politique mérite toute notre attention. En effet, en plus de nourrir la flamme patriotique en associant les résultats sportifs à la « puissance » des nations et des individus qui les constituent, les Jeux sont l’occasion de faire la promotion de certaines valeurs et d’une orientation sociale particulière. Pour juger cet énoncé, il importe de situer les OlympInc. dans leur contexte historique, qui va de la ré-introduction moderne du relais de la flamme lors des Jeux Nazis de ‘36 jusqu’aux Jeux du bulldozer de Beijing (et du Tibet). N’oublions alors pas de souligner leur caractère politique, comme en témoigne le boycott américain des Jeux de 1980 et celui soviétique des Jeux de 1984, de même que leur attribution à des régimes violemment autoritaires comme celui de la Corée des années ‘80. On peut alors constater que les OlympInc. servent de cheval de Troie, bien commode, à l’expansion de systèmes d’exploitation et de contrôle social. D’ailleurs, l’organisation des Jeux implique un imposant arsenal « sécuritaire » et des lois d’exception telle l’interdiction de manifester. Dans le cas de Vancouver, la sécurité représente environ le septième des dépenses publiques officielles qui représentent, jusqu’à maintenant, un montant d’au moins 7 milliards.
Les différentes oppositions dirigées contre les Jeux peuvent certainement ternir la belle image que ses promoteurs veulent voir projetée auprès de la population. C’est pourquoi elles ne sont pas bien tolérées. Le discours sous-entendu est souvent qu’au nom des grandes valeurs qu’incarneraient ces Jeux, la morale exigerait qu’on fasse fi de nos différents pour célébrer ensemble la performance des athlètes. Les agitateurs n’ont pas le droit de « voler le show » et de contester la présentation du spectacle olympien. Mais avant de joindre la résistance et l’insurrection, certains trouveront important de réfléchir davantage aux JO et à ce qu’ils nous disent sur notre condition actuelle. Il devient alors pertinent d’explorer les valeurs promues par les Jeux.
Les valeurs morales mises de l’avant par les JO
Considérer l’impact des JO, c’est se demander quelles sont les valeurs qu’ils mettent de l’avant : l’excellence et l’honneur ? L’argent et le pouvoir ? La compétition et la gloire ? Explorons d’abord la question de l’excellence et de l’honneur. Les performances des athlètes représentent-elles réellement l’expression de ces valeurs ? Avant de le déterminer, il ne faudrait pas oublier de considérer les impacts de leur carrière sportive sur la santé globale et le développement personnel et social des athlètes olympiques. On pourrait peut-être discerner les coûts (humains) de la compétition et la spécialisation à l’extrême dont ces athlètes sont un modèle. Pousser la machine humaine, dans une seule direction et au maximum, entraîne inévitablement certains déséquilibres dans la vie intime. À ce sujet, il faut savoir que « […] de nombreuses recherches ont montré que la pratique intensive du sport n’était pas sans risque psychopathologique » [2]. On pourrait aussi s’attarder aux conséquences liées à la possibilité de devenir une star grâce à des performances sportives poussées aux limites du possible.
Que penser du slogan No Pain, No Gain diffusé lors des JO de Barcelone ? C’est un bon résumé de « l’éthique protestante du travail » et de la version moderne de la morale chrétienne : il faut souffrir pour mériter. Comme si tout avait un prix et pouvait être mérité... Mais que gagne-t-on réellement en triomphant dans les compétitions olympiennes ? Les records sont établis pour être dépassés et la gloire est nécessairement éphémère. Et si les Jeux illustraient que « qui risque rien, n’a rien » ? Il faudrait alors savoir ce que risquent les spectateurs et les spectatrices des Jeux. Sont-ils impliqués personnellement dans de tels défilés ? Et même s’ils ont l’impression de prendre des risques (du moins, de vivre du suspense) à travers les héro-ïnes olympienNEs, on peut se demander comment cela influence leur vie personnelle. Le courage ne s’exerce pas par procuration et
l’honneur ne peut être remporté grâce à de sup-posés représentants.
La plupart des gens a peut-être l’impression de ne rien risquer en consommant le spectacle organisé par une élite. Pourtant, ces évènements constituent des occasions plus ou moins subtiles de manipulation. Réfléchir à l’impact des Jeux, c’est considérer la dépendance des diverses communautés envers l’élite dans des domaines aussi cruciaux que ceux du sport, du divertissement et de la culture. Cela amène à se demander comment organiser des JO sans l’appui des grandes corporations qui les commanditent. Peut-être que ce contrôle représente un risque que nous ne réalisons pas. Et que dire de l’effet culturel et social des JO qui élèvent les athlètes olympiens au rang de modèles ?
Un modèle de société répliquée
Le plaisir même de faire quelque chose est très peu valorisé par les OlympInc. Évidemment, les Jeux représentent avant tout un divertissement plutôt qu’un effort de promotion d’une vie active. De la façon dont ils sont médiatisés, il semble que les JO contribuent beaucoup plus à une augmentation de la tendance à regarder du sport que celle à participer à des activités sportives [3].
Les Jeux font aussi largement la promotion du plaisir associé à être le meilleur. En d’autres mots, on peut dire qu’ils reposent sur la compétition plutôt que sa participation. Mais cela est-il étonnant lorsqu’on sait que les JO s’inscrivent à l’intérieur d’un système mondial largement dominé par les intérêts et les principes capitalistes ? À ce sujet, soulignons le fait que gagner aux JO modernes, c’est réussir dans un domaine pointu selon des critères pré-établis. C’est se soumettre entièrement à un système de règles strictes et à une discipline sévère. Ne retrouve-t-on pas ici un certain reflet de ce qui est attendu des travailleurs par les grands patrons qui régissent les exigences du marché de l’emploi ? N’oublions surtout pas que l’organisation contemporaine du travail implique un système hautement hiérarchique.
On est alors en droit d’interroger la valeur des organisations pyramidales, dont le fonctionnement se base sur une montagne de perdant-es pour porter quelques gagnant-es au sommet. Pourquoi privilégier un système où il n’y a que peu d’élu-es pour un lot de faire-valoir ? Ce questionnement est encore plus pertinent lorsqu’on pense qu’une place en tête, en raison des sacrifices nécessaires pour y parvenir et s’y maintenir, n’est enviable qu’en comparaison avec les places inférieures (et non en soi). À l’encontre d’une telle orientation, ne gagnerions-nous pas à concevoir la réussite comme quelque chose dont les critères restent toujours à établir et qui inclut l’équilibre et l’originalité ? Plutôt que la compétition et son économie de la rareté, ne ferions-nous pas mieux de promouvoir des biens qui augmentent en fonction du nombre de gens avec qui on les partage ? On peut ici penser à la liberté, aux semences des plantes, au savoir et à la culture, ainsi qu’à la joie de vivre et de rencontrer l’autre.
Bref, retenons qu’en tant que spectacle, les Jeux sont une immense campagne publicitaire et de « marketing social » qui a pour but de modifier les comportements des spectateurs. Or, comme cette dernière est organisée par une élite, il y a lieu de douter de sa pertinence pour ceux et celles à qui elle est destinée. Si l’esprit Olympique est d’une quelconque valeur, c’est lorsqu’il nous inspire à prendre l’initiative, à relever personnellement des défis et surtout, à célébrer la participation. Un tel esprit ne requiert aucun équipement ou installation spécifique ni ne fait l’objet d’un monopole de la part du Comité Olympique ou de quelque autre autorité.
Si les JO privilégient le succès (économique) au détriment de la participation active de chacun, on peut dire que finalement, les OlympInc. constituent une recette pour faire du laid avec du beau. Et plutôt que de nous sentir plus canadiens grâce à la performance des athlètes qui bénéficient des subventions pour les programmes d’entraînement olympiques, privilégions la pratique d’activités sportives accessibles. Car par-dessus tout, vive le sport en lui-même, où le pointage et les drapeaux ne comptent plus !
[1] Dans son article, Les perdants des Jeux olympiques de Vancouver paru dans Le Devoir du 11 décembre 2010.
[2] http://services.poissonbouge.net/clients/fd83d351-ae4e-0616-115a01e928a6681e/docs/6b5e58e6-a815-e8eb -313e3b96b2e7933d.pdf (consulté le 15/02/10).
[3] « Studies of sport participation in Australia after the 2000 Summer Games produced inconclusive results, Lenkskyj said. In fact, she added, research showed more Australians watched televised sports in the years that followed. » http://thetyee.ca/Blogs/TheHook/Olympics2010/2009/09/14/Olympics-active-healthier-academic/ (consulté le 16/02/10).