Politique
Vers la fin des arrestations de masse à Montréal ?
De la participation à un crime collectif
Depuis la généralisation de l’utilisation de la technique d’arrestation massive des participant-es aux manifestations par la police de Montréal à la fin des années 1990, les tribunaux avaient été généralement constants dans leur capacité à mettre tous les gens dans le même panier. Il y avait autant de criminels que de participants à la manifestation. Or, voilà que la Cour d’appel du Québec vient rappeler aux policiers et aux tribunaux que les principes généraux du droit criminel s’appliquent aussi à la répression des actions collectives à caractère politique.
On dit parfois que les bons faits créent le bon droit. Autrement dit, une bonne histoire a de meilleures chances d’établir un précédent judiciaire intéressant. Le 20 octobre 2000, il faut dire que ça avait été une manifestation bizarre, brusquement interrompue par une intervention policière démesurée : cavalerie, abondance de gaz, chasse aux manifestants par les escadrons municipaux sur une distance de plus d’un kilomètre. Ajoutez à cela le fait que les procureurs de la poursuite présentaient une thèse surprenante pour justifier ce grand cirque répressif : des méfaits (ballons de peinture, graffitis et feux de poubelle) ayant été commis durant la manifestation, toutes les personnes qui sont demeurées sur les lieux auraient de ce fait encouragé les « malfaiteurs » par leur simple présence et leur auraient procuré un refuge au sein de la foule anonyme. Une logique de culpabilité par association, poussée à sa dernière limite : l’idéologie guantanaméenne appliquée dans la répression des troubles – parfois uniquement appréhendés – de l’ordre public.
La fin du règne de la « simple présence »
Dans la foulée de l’application de la technique d’arrestation de masse, les tribunaux québécois ont repris les principes affirmés dans les années 1930, au moment de la répression des mobilisations populaires contre la crise économique. Depuis lors, l’interprétation judiciaire de l’infraction d’ « attroupement illégal » veut que la simple présence sur les lieux où des gens rassemblés font craindre qu’un tumulte éclate soit suffisante pour faire condamner toute personne qui partageait le but initial du rassemblement. On ratisse large et on légalise les grands coups
de filets, dès qu’on peut démontrer une « crainte raisonnable du tumulte ». Certaines décisions judiciaires ont ensuite appliqué ce principe de culpabilité par association aux autres infractions classiques liées aux manifestations : entrave à la circulation publique, troubler la paix, méfait. C’est cette dérive que la décision Bédard de la Cour d’appel du Québec, rendue le 3 août 2009, est venue corriger.
L’intention d’encourager
Le droit criminel est ainsi fait qu’on peut commettre un crime à distance, en aidant ou en encourageant une personne à perpétrer une infraction. Toutefois, comme la Cour le rappelle, il faut tout de même avoir l’intention que nos gestes servent effectivement d’aide ou d’encouragement à une infraction criminelle précise. Une « intention spécifique », disent-ils. Ainsi, rester sur les lieux de la manifestation, même après avoir constaté que des méfaits ont été commis, n’est pas en soi un encouragement. Le droit criminel est sévère, mais il se targue aussi d’être équitable.
Et la Charte ?
Il peut paraître surprenant que la Cour d’appel ait tranché en faveur des manifestant-es sans même référer aux notions pourtant au cœur du débat : la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ainsi que le droit de ne pas subir de discrimination en raison de ses convictions politiques. Doit-on en conclure qu’il est moins hasardeux d’exiger un travail rigoureux de la police plutôt que de reconnaître des droits aux manifestant-es politiques ? Saluons le travail des avocats de ces derniers, Denis Barrette, Pascal Lescarbeau et Jared Will, pour leur clairvoyance et leur ténacité ! Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il semble que les militants aient eu avantage à se fonder sur leur statut de loyaux sujets de la Couronne plutôt que de demander de se voir reconnaître le droit d’exercer leurs droits fondamentaux.
Une victoire coast-to-coast
La Cour suprême ayant refusé d’entendre l’appel, confirmant de ce fait la décision Bédard, on peut dire que la nécessité de démontrer l’intention spécifique d’aider ou d’encourager la commission d’une infraction durant une manifestation est maintenant la règle de droit applicable au
Canada. Pouvons-nous du coup croire que la technique d’arrestations de masse deviendra illégale ? Malheureusement, jusqu’à la prochaine contestation judiciaire, l’infraction d’« attroupement illégal » et son infâme logique de culpabilité par association demeurent. Malgré cela, on peut penser que le jugement Bédard marquera un tournant – modérateur – dans la répression à tout crin des manifestations politiques à Montréal.