Éditorial du no. 34
Propagande
Rendons à César ce qui est à César : les Libéraux de Jean Charest viennent de réussir l’une des plus eff icaces opérations de propagande de ces dernières années. À moins que, à force de répétitions, leurs idées finissent tout simplement par passer, ce qui serait encore plus extraordinaire... Chose certaine, la crise économique aidant, les Libéraux ont ramené devant tous, comme si elles étaient neuves, les idées qui leur collent à la peau depuis qu’ils ont pris le pouvoir : il faut favoriser la concurrence, privatiser, hausser les tarifs.
Plutôt que de tirer les leçons de leurs échecs, les Libéraux reprennent donc des recettes qui ne fonctionnent pas. Le désaveu de leur « réingénierie », la déconfiture de leurs PPP, les scandales reliés à la corruption ont été insuffisants pour leur faire reconnaître qu’un État au service des grandes entreprises ne dessert pas la très grande majorité de la population. Leur retraite sur les deux premiers sujets n’a été qu’une concession nécessaire
pour mieux fourbir leurs armes af in de revenir avec les mêmes projets relookés.
La crise économique est devenue l’occasion en or pour leur permettre de se relancer. Cette crise a été causée par la déréglementation, le gigantisme des grandes entreprises privées, la soumission du pouvoir politique aux intérêts financiers. Appliquons la stratégie du choc pour en sortir, nous disent les Libéraux, guérissons le mal par le mal. Déréglementons davantage grâce à des accords commerciaux. Donnons aux grandes entreprises ce qu’elles veulent. Et surtout, faisons payer les dégâts par les pauvres et la classe moyenne en augmentant les taxes et les tarifs.
Il faut bien sûr faire avaler le tout aux électeurs. La crise permet commodément de brandir des épouvantails : situation déplorable des finances publiques, dette, déficit, dénatalité. Rabâcher ces faits — ce dont on ne se privera pas — créera un état de vulnérabilité. Devant tant de dangers, croit-on, nous devrons nous rallier à ceux qui nous gouvernent, adopter ce qui sera présenté comme les seules politiques possibles.
Pour donner de la crédibilité à leurs choix, les Libéraux ont placé au cœur de leur campagne l’intervention de quatre économistes, les Montmarquette, Gagné, Fortin et Godbout, dont le statut d’« experts » reconnus permet de clouer le bec à tous ceux qui oseraient les contredire. La parution de trois fascicules, rédigés par ces économistes, a permis d’occuper judicieusement l’espace médiatique à des moments bien ciblés, de façon à ce que leurs idées soient relancées.
Pourtant, un examen attentif de ces fascicules montre à quel point cette littérature est de mauvaise qualité. Le travail de ces experts est marqué par des présupposés idéologiques plus que discutables ; les auteurs y énoncent des vérités non démontrées, manipulent les statistiques, s’alimentent de sources non à jour, noircissent grossièrement ce qu’ils décrivent. Que ces économistes soient professeurs à l’université nous fait nous poser de sérieuses questions sur la valeur de leurs enseignements. Mais peut-être que la fin justifie les moyens ? N’ont-ils pas, en toute honnêteté, touché la modique somme de 17 millions $ pour dire exactement ce que l’on attendait d’eux ?
Dans un premier temps, on pourrait croire que les Libéraux l’ont emporté. Il suffit d’écouter la chef de l’opposition Pauline Marois répéter comme un perroquet qu’il faut augmenter les taxes et les tarifs pour constater la profonde imprégnation de leurs idées. En s’appuyant sur des fascicules d’un néolibéralisme aussi orthodoxe, les Libéraux, quoi qu’il advienne, ne peuvent en apparence que gagner. Si l’opinion publique réagit favorablement à leur propagande, ils appliqueront ces mesures dont ils rêvent depuis si longtemps. Si celle-ci s’y oppose, ils pourront démontrer avec magnanimité qu’ils comprennent la population et mettront de l’avant des politiques un petit peu moins radicales.
Il est cependant possible que les Québécois refusent de se laisser berner. Les réactions provoquées entre autres par la prose des économistes mercenaires ont été particulièrement fortes. Plusieurs y ont vu l’occasion de proposer des solutions beaucoup plus justes et imaginatives pour rehausser les finances publiques. Parmi celles-ci : un nouveau palier d’imposition pour les revenus élevés, une lutte acharnée contre l’évasion et l’évitement fiscaux, des redevances supérieures pour les ressources naturelles, une imposition à 100 % du gain sur le capital, un combat efficace contre la corruption.
Des voix diversif iées ont critiqué les positions des Libéraux et avancé ces solutions : Québec solidaire, le Front commun intersyndical, l’IRIS, Économie autrement, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC). Une vaste coalition contre la tariication et la privatisation des services publics s’est organisée pour faire entendre le bon sens à notre gouvernement.
Certes, il ne faut pas croire que nos grands médias, élément essentiel de la propagande gouvernementale, deviendront un relais pour transmettre les idées nouvelles. Mais espérons que celles-ci s’imposeront malgré tout, parce que leur application ne peut se faire que dans l’intérêt collectif.