Gilles Lipovetsky et Jean Serroy
L’écran global. Culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne
lu par Philippe de Grosbois
Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, L’écran global. Culture-médias et cinéma à l’âge hypermoderne, Paris, Seuil, 2007, 365 p.
Gilles Lipovetsky est un optimiste. Dès ses premiers ouvrages (L’ère du vide, L’empire de l’éphémère), le sociologue français s’est, semble-t-il, donné le mandat de démontrer que notre époque n’est pas aussi sombre qu’on pourrait le penser. Nous sommes individualistes ? Tant mieux : c’est signe que notre marge de manœuvre individuelle est de plus en plus grande dans les sociétés contemporaines, à l’heure du do-it-yourself identitaire. La mode nous rend conformiste ? Bien au contraire : l’histoire séculaire de la mode nous montre qu’elle est de plus en plus différenciée, plus ouverte à la créativité individuelle et plus indifférente aux barrières de classes. Nous vivons à l’ère hypermoderne, où s’approfondissent les logiques émancipatrice et démocratique issues de l’époque moderne. Pas de doute possible : pour Gilles Lipovetsky, le verre est toujours à moitié plein.
C’est donc sans surprise que les habitués de la pensée lipovetskienne liront L’écran global, écrit avec Jean Serroy, critique de cinéma. Les auteurs y font la démonstration, somme toute assez convaincante, que le cinéma se porte mieux qu’on a l’habitude de le penser, que ce soit à Hollywood ou ailleurs dans le monde. La niche des films indépendants rend toujours plus floue la distinction entre cinéma hollywoodien et cinéma d’auteur ; l’offre cinématographique est toujours plus diversifiée (pour qui sait aller plus loin que les blockbusters estivaux) ; le genre documentaire n’a jamais autant attiré les foules ; le cinéma historique ne cesse de soulever les tabous... Les arguments sont nombreux et étayés par un impressionnant corpus de films à l’appui. On ne retrouvera pas en ces pages une « économie politique » du septième art du XXIe siècle, à l’heure de la concentration des médias, mais bien une analyse de contenu extrêmement fouillée du cinéma contemporain. Le dernier tiers de l’ouvrage, dans le même esprit mais de manière un peu plus brouillonne, cherche à montrer, par une étude de la prolifération des écrans (télévision, téléphone cellulaire, ordinateur, etc.), que le cinéma, loin d’être un art en déclin, étend au contraire sa logique à de nouveaux pans de notre existence.
On n’est pas devant une œuvre majeure de Lipovetsky : on remarque, au contraire, une tendance à appliquer un ensemble de concepts aux objets d’étude les plus divers (un peu comme a pu le faire Pierre Bourdieu dans quelques-uns de ses derniers ouvrages, mais sur un tout autre registre). Par contre, Lipovetsky et Serroy nous offrent un très bel état des lieux du cinéma mondial des dernières décennies. Le ou la cinéphile se régalera de voir ses coups de cœur placés dans un contexte artistique, sociologique et historique plus vaste.